Dans le cadre du Forum mondial de la langue française qui
a eu lieu à Québec, quelque 1 500 délégués sont venus discuter, autour d’ateliers et de
conférences, de l’avenir du français partout dans le monde. Tout un programme. Celui-ci
a cependant commencé par un fait divers qui a mobilisé l'attention, soit l’intervention remarquée d’un
participant pendant le discours du premier ministre Harper. De ce fait, la
phrase choc de monsieur Abdou Diouf, secrétaire général de l’organisation
mondiale de la francophonie, est peut-être passée inaperçue, elle qui a eu le
mérite de sonner une véritable alarme au cas où nous nous étions endormis.
Ainsi, j’accepte sans hésitation son invitation à devenir une indignée
linguistique (quoique je le suis déjà un peu depuis pas mal de temps).
En effet, si le mot « indigné » est le mot à la mode, je
suis d’avis qu’il s’accorde parfaitement aux sentiments qui devraient tous nous
animer autour de cette langue qui nous assemble. Malheureusement, tout débat
sur le niveau de la langue française est souvent à prendre avec des pincettes
au Québec. Dès que l'on ose aborder une pauvreté de vocabulaire ou des lacunes
en termes de grammaire ou de syntaxe, il y a une susceptibilité qui surgit...
On préfère mettre le péril du français sur le dos de cette invasion de l'anglais
dont on nous parle ad nauseam, ou
encore sur celui d’une immigration soi-disant ignorante de notre langue.
Bien entendu, si l’on considère la place importante de
l’anglais dans notre société, il est essentiel de rester vigilant. Pourquoi
répondre automatiquement en anglais à nos interlocuteurs dans des commerces du
centre-ville (ce que je constate trop souvent) ? Pourquoi utiliser par
facilité du jargon technique anglophone ? Pourquoi laisser passer des
aberrations de gestion ou de documentation unilingues dans le monde du
travail ? Pourquoi préférer le statu quo devant des annonces ou des
marques de commerce uniquement en anglais ? Pourquoi apprécier des films
américains plutôt que ceux d’ici (combien de fois ai-je entendu des
commentaires négatifs sur le cinéma québécois ou français) ?
Mais sommes-nous vraiment vigilants ? Je ne le pense
pas. Ou pas suffisamment. Pour parvenir à une telle dégradation de la qualité du
français, il y a forcément eu un abandon collectif et individuel depuis
trop longtemps comme je l'ai déjà souligné sur ce blogue. Notre langue française, on ne la soigne pas, on la maltraite et
on la snobe (attention, je ne parle pas ici d’accents, de régionalismes ou
d’expressions qui doivent être préservés comme autant d’identités
linguistiques). Je parle du bien parler qui est trop souvent perçu comme une
arrogance. Je parle du bel écrit qui prend trop de temps et est considéré comme
trop pompeux.
À ce titre, on pouvait lire dans les médias il y a
quelques mois les résultats d’une nouvelle statistique qui nous apprenait que 49 % des Québécois étaient des analphabètes
fonctionnels. C’est-à-dire que 16 % d'entre eux ne savent pas lire et
qu'un autre 33 % épuise ses méninges au bout de quelques lignes. Pire: de ces
49 %, plus de 40 % ont entre 16 et 46
ans.
Si des générations de ces analphabètes fonctionnels sont
malheureusement peut-être perdues, il est temps de se réveiller pour celles en
devenir ou à venir. C'est un devoir de société. Un devoir de nos gouvernements
par le biais de législations linguistiques, un devoir du système éducatif (dès
les premières années d’école) qui doit mettre le goût de la lecture et de
l’écriture au premier plan, un devoir individuel où la moindre attention portée
au langage parlé et écrit pourra faire une différence. En tant qu’indignés
linguistiques, nous devons refuser ce laisser-aller qui prévaut dans toutes les
sphères de nos communications.
(Texte publié sur le site Lapresse.ca/lecercle le 3 juillet 2012)
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