20 janvier 2013

Nous avons créé la machine Lance Armstrong

Je ne reviendrai pas sur la prestation de Lance Armstrong qui a pédalé face à la confidente du bon peuple américain, Oprah Winfrey, et qui aura été finalement ce douteux cirque médiatique auquel nous n'aurions pas dû prêter autant d'attention. Tout comme le corrompu Lino Zambito était venu redorer son image sur le plateau de notre émission populaire Tout le monde en parle, Armstrong est venu confesser ses fautes, comme le ferait un petit garçon à sa maman douce et ferme à la fois. «Tiens, sèche tes larmes et que je ne t'y reprends plus, ok ?»...

Oh, bien sûr, tout cela n'a pas manqué d'alimenter les conversations de coins de machines à café ou sur les tribunes sportives. Mais finalement, la conclusion semble unanime:  dans cette mise en scène marketing, Armstrong n'a rien révélé de nouveau que ce que l'on savait déjà. Parions que dans peu de temps, on passera à autre chose.

Pourtant, s'il y a bien une question à se poser collectivement, plutôt que d'échanger sur le langage verbal ou non du sportif déchu, c'est celle-ci : comment en sommes-nous arrivés là dans le monde du cyclisme (et dans d'autres sports) ?

Car ne nous voilons pas la face. Si monsieur Armstrong roulait aux produits dopants, il n'était pas le seul et ne sera certainement pas le dernier à le faire. De son plein gré, il a participé à cette mascarade de la performance qui mobilise des équipes sportives, des entraîneurs, et des médecins devenus sorciers ou magiciens. Pour mieux répondre à des publics toujours plus friands d'exploits surhumains.

Petite anecdote personnelle : quand j'étais enfant, je suivais assidûment le Tour de France car mon père était un passionné de ce sport. Chaque année, la famille était donc rivée au poste de télévision aussi bien pour le bulletin quotidien sur la course que le jour de l'arrivée. Cycliste amateur (il a quand même pédalé fort pour atteindre le sommet du mont Ventoux dans le Vaucluse!), mon père avait pour idole Bernard Hinault.  On disait même que mon père lui ressemblait un peu physiquement, ce qui le flattait à chaque fois. Le grand cycliste, que l'on surnommait «Nanard» ou «le blaireau» a gagné à la sueur de son front et de ses fesses cinq Tours de France. Je me souviens encore de sa chute dans un ravin en pleine course et en direct à la télévision. On le voit alors remonter tant bien que mal sur la route, le maillot jaune arraché et mal en point (tant lui que son vélo), et repartir à l'attaque. Une séquence qui aura marqué les mémoires des petits et grands. Bien sûr, on était de véritables sadiques qui, confortablement assis dans nos salons, semblaient avides de visages crispés de douleur des cyclistes dans les sommets des Alpes ou sur les interminables plats du Nord. Mais on savait reconnaître l'exploit, en termes de courage et d'intelligence stratégique), et on admirait véritablement le gagnant qui pouvait enfin s'asseoir sur son trône.

Je ne veux surtout pas faire de généralités car il existe de grands sportifs, amateurs ou professionnels, qui honorent leur pratique sportive en se dépassant constamment. Inspirants, ils ont toute mon admiration.

Mais, pour revenir à ma question, pourquoi en sommes-nous arrivés là particulièrement dans le cyclisme ? Permettez-moi d'avancer ma théorie; je crois qu'en tant que public (et donc en tant que société), nous sommes tous un peu responsables. De nos jours, seuls les gagnants sont valorisés, pas ceux qui y mettent l'effort et qui suent trop fort, et encore moins ceux qui arrivent derniers. Course à l'image, course au succès, course à l'argent. On veut du spectacle, et du grand. Le sport-plaisir est devenu ringard. Le sport-showbiz a la cote. Beaucoup rêvent d'ailleurs de devenir ces athlètes musclés, machines à sous et célèbres. Alors, dans leurs quotidiens qui semblent sans fards, certains usent d'hormones et de suppléments protéinés et d'autres se donnent corps et âme sur des tapis roulants. Les salles de gym poussent comme des champignons et les ventes de produits miracles enrichissent une industrie qui pèse déjà plusieurs milliards de dollars. Tout le monde est content.

Jouer les vierges effarouchées devant les simagrées d'un sportif déchu n'est que pure hypocrisie. Car nous savons que ce ne sont pas les aveux pleurnichards du cycliste qui vont, à eux seuls, réparer le tord fait au monde du cyclisme. Il est plutôt temps de demander également des comptes aux instigateurs et complices de ce large système de dopage. Car autant les admirateurs de ces sportifs sur deux roues se sont voilé la face, autant certains organismes ont bien dû fermer les yeux sur des pratiques douteuses qui n'étaient certes pas dans le secret des dieux.

1 commentaire:

  1. Je regardais « Charriots of Fire » l’autre jour. On parlait aussi de l’honneur du sport.

    C’est dommage, mais l’honneur n’a plus la cote.

    Daniel TARDIF

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