Encore faudrait-il connaître ces valeurs, me feront
remarquer certains d’entre vous. Vous
n’auriez pas tort. D’autres lecteurs vont peut-être flipper à la
perspective de devoir lire un autre billet sur le projet de charte. Certes, il
y a bien ce point commun qu’est le mot « valeurs », mais n’ayez crainte, je
n’ai guère envie de renouveler l’expérience d’exprimer un semblant d’opinion à
ce sujet sur une tribune numérique. Oh que non, j’ai déjà donné… et reçu.
Entendez par là non pas un bouquet de fleurs mais plutôt pas mal de tomates
bien mûres. Imaginez en plus, une maudite immigrante française qui vient mettre
son grain de sel dans un débat qui appartient aux Québécois. Plusieurs lecteurs
n’ont pas manqué de cracher leur hargne. « T’es pas contente, ma grande ? Ben
retourne donc chez toé ! »… Encore heureux que je ne m’appelle pas Aicha ou
Fatima. Bien entendu, il ne faut pas généraliser; des cons, il y en a partout.
N’empêche que ces manques de retenue et de respect envers les idées des autres
sont pas mal déconcertants et surtout dérangeants. À mon avis, la faute est
imputable en partie à l’utilisation grandissante des réseaux sociaux qui
permettent à certains internautes de ne pas être redevables de leurs actes.
En effet, ne nous leurrons pas, si les réseaux sociaux ont
leurs avantages d’un point de vue, comme l’indique le nom, de relations
sociales, ils entraînent aussi leur lot d'inconvénients. Certes, les gens
partout dans le monde sont de plus en plus connectés et les frontières de
communication tombent. Et c’est tant mieux. En revanche, la discussion
raisonnée et le débat n’existent pas à l’ère du numérique. Pour certains
éléments perturbateurs, seule la grossièreté sert d’argument, ceux-là même qui
se cachent la plupart du temps sous le couvert de l’anonymat. Le pire est quand,
en plus, ils ne savent pas écrire. Faut-il donc écrire uniquement des billets
ou des blogues sur le sport, le showbizz ou la cuisine pour espérer avoir un
peu de respect ?
Non, non, je ne suis pas une petite nature, je vous assure.
Mais j’avoue bien humblement que la lecture de nombreux commentaires
disgracieux sur différentes tribunes citoyennes au sujet de la future charte
m’a quelque peu affectée. Je suis même un peu sonnée. C’est comme si j'émerge
d'un rêve d’une belle histoire qui se déroulait dans un coin de pays où tout le
monde il était beau, tout le monde il était gentil. Bien sûr que les opinions
peuvent être divergentes, et je préfère bien mieux ça à la pensée
conventionnelle, croyez-moi. Mais la polarisation extrême de la société
québécoise apparue dans le cadre des débats a provoqué de véritables réactions
épidermiques chez certains. Si tu es avec moi, tu es mon ami, sinon tu es un
véritable traitre à la solde de l’ennemi. Quand ce n’est pas la corde sensible
de l’histoire du Québec qui vient exacerber la susceptibilité et la sensibilité
de certains individus. Alors dans ces cas-là, on peut lire des débordements de
sentimentalisme proches de l’incivilité. Je ne leur dirais qu’une chose, à ces
personnes « mesdames, messieurs, faire acte de mémoire et de respect est
incontestable, refuser d’avancer avec son époque est une perte de temps ».
Bref, dans ce contexte de frictions continues, il n’est pas
étonnant que notre société présente des symptômes de dépression collective où
chacun préfère rentrer dans le rang et s’isoler dans le confort de son petit
monde, dépité ou désabusé. De toute façon, à quoi ça sert de vouloir changer
les choses puisque ce que j'ai à dire est automatiquement écarté et que les
choses ne bougent jamais, hein ?
La société québécoise est triste; ça se voit et ça se
ressent. Je le constate autour de moi et je commence à présenter moi-même des
signes de lassitude. J’ai encore l’énergie de penser qu’il est grand temps de
se ressaisir en bloc et de faire tomber toutes ces barrières invisibles
(politiques, territoriales, linguistiques, de génération, etc.) qui pourrissent
nos vies et nos discussions. La crise identitaire que nous connaissons et les
déboires de nos institutions ne doivent pas saper notre envie de vivre au sein
d'une collectivité saine et visionnaire. N’attendons pas que le miracle vienne
uniquement de nos politiciens et décideurs. L’effort doit avant tout être
individuel. Ainsi, si nos valeurs étaient à redéfinir ou même à définir, j’en
proposerais quelques-unes : responsabilité, tolérance, ouverture d’esprit,
ouverture sur les autres, délicatesse, empathie. Il y en d’autres, on a un
grand choix.
Il est temps de souffler par le nez et d’apprendre à
contenir nos susceptibilités. Donnons l’exemple à nos enfants qui, fort
heureusement, apprennent à l’école les règles élémentaires d’un savoir-vivre
ensemble et de gestion de conflits. J’ose espérer que les injures et les
méchancetés ne font pas partie de la solution.
Allez, serrons-nous la main !