Je ne vous apprendrai certainement rien en vous disant
que le Prix du grand public Salon du livre de Montréal/La Presse dans la
catégorie Vie pratique/essai (!) a été décerné au livre La mijoteuse : de la
lasagne à la crème brûlée de Ricardo Larrivée. Un prix certainement bien
mérité pour cet as de la cuisine qui semble réussir tout ce qu’il touche. Avec
la multiplication des émissions, magazines, blogues, chroniques et livres en
tous genres sur l’art culinaire, j’étais pourtant certaine que nous allions faire
un jour ou l’autre une indigestion collective. Il semble bien que non.
Mais posons-nous quand même la question : doit-on y
voir un désintérêt généralisé pour la littérature avec un grand C ? À moins
que, en cette ère de l’instantané, les livres de cuisine sont la « bonne
recette » pour ne pas trop se casser la tête. Je ne veux surtout pas jouer
l’intello de service ici. J’ai grandi sans un seul livre à la maison. La seule
chose qui m’a donné le goût d’écrire, c’est la dictée. Mon père adorait m’en
donner, et moi, j’adorais l’impressionner. Aussi simple que ça.
La tâche est plus ardue avec ma fille. On a eu beau lui avoir
collé un livre entre les mains quand elle était bébé, cela ne lui a aucunement donné
le goût de lire. Et toujours pas aujourd’hui alors qu’elle est en secondaire 3.
Mais, la nouveauté cette année, c’est son professeur de français un peu fou
mais passionné et super exigeant. Et vous savez quoi ? Ça fonctionne. Le
désir de ma fille de réussir ses tests est peut-être de l’orgueil mal placé,
mais il faut la voir s’accrocher pour ne pas décevoir son prof un peu fou…
L’autre événement autour du livre fut le récent débat sur son prix unique.
Ainsi, le ministre de la Culture et des Communications, Maka Kotto, va élaborer
un projet de loi pour limiter à 10 % le rabais sur les nouveautés autant
imprimées que numériques pendant neuf mois. « Le livre n'est pas une
marchandise comme les autres. En encadrant le prix des livres neufs imprimés et
numériques, cela permettra de consolider notre réseau de librairies qui
garantit un accès diversifié aux livres et d'assurer des lieux de diffusion à
nos auteurs québécois dans toutes les régions », a affirmé le ministre
Kotto, qui y voit aussi une manière de « protéger l'identité et la
culture québécoise ».
Tant qu’à moi, dans ce débat, le livre n’a été que valeur marchande. Aucune
référence au problème de base qui met tout autant en péril la pérennité de nos
librairies : le manque de maîtrise de la langue par une large proportion
de la population québécoise. On parle ici de 49 % d’analphabètes fonctionnels.
C’est-à-dire que 16 % d'entre eux ne savent pas lire et qu'un autre 33 % épuise
ses méninges au bout de quelques lignes. Pire: de ces 49 %, plus de 40 % ont
entre 16 et 46 ans.
Pour parvenir à une telle dégradation de la qualité du français, il y a bien
dû y avoir un abandon collectif et individuel, non ? Vous en conviendrez,
notre langue française, on ne la soigne pas, on la maltraite et on la snobe. Attention, je ne parle pas ici d’accents, de
régionalismes ou d’expressions qui doivent être préservés comme autant
d’identités linguistiques. Je parle du bien parler qui est trop souvent perçu
comme de l’arrogance. Je parle du bel écrit qui prend trop de temps et est
considéré comme trop pompeux.
Si des générations de ces analphabètes fonctionnels sont malheureusement
peut-être sacrifiées, il est temps de se réveiller pour celles en devenir.
C'est un devoir de société. Un devoir de nos gouvernements. Il faut remettre l'éducation à la première place de nos priorités. Pas forcément en
termes de moyens financiers. Mais plutôt en termes de pédagogie.
Notre école publique ouvre largement ses portes à tous les enfants, tels qu’ils sont : ceux issus
de catégories sociales favorisées ou beaucoup moins, mais aussi ceux, de plus
en plus nombreux, « venus d'ailleurs ». Dans ce contexte, est-ce que notre système
éducatif a su se transformer en profondeur dans ses contenus ? Je n’en suis pas
certaine. Il est en fait resté quasiment identique à lui-même et a trop souvent
maquillé l'échec en abaissant régulièrement ses ambitions et ses exigences.
En intégrant le primaire, bon nombre d’enfants se trouvent en situation de
grande difficulté de lecture et encore bien plus d'écriture. On ne réussit pas
vraiment à les remettre à niveau, et le secondaire les achève. Ces futurs
illettrés s’ajoutent aux nombreux désenchantés de l’école qui se demandent ce
qu’ils y font, les décrocheurs.
La priorité du primaire - et même, pourquoi pas, de la garderie - serait pourtant de donner à tous les enfants qui lui sont confiés
une maîtrise du français oral qui leur permettra de comprendre les codes
de l’écrit grâce à l'acquisition d'un vocabulaire précis. Car l'engrenage est
terrifiant. Lorsqu'un enfant souffre d'un déficit de langage à la fin du
primaire, il ne peut prétendre qu'à des aptitudes acquises en surface, alors
que le secondaire attend de lui d’être autonome et polyvalent. Il endosse ainsi
très tôt le costume de l'échec et il ne le quitte plus.
N’oublions pas que l’identité d’une société repose entre autres sur sa
culture qui se matérialise forcément par sa langue commune. Prenons donc exemple
sur nos amis haïtiens. Lors d’une entrevue pendant le Salon du livre,
j’entendais certains des écrivains québécois qui avaient eu la chance de
participer aux Rencontres québécoises en Haïti en mai dernier, raconter à quel
point la lecture a un caractère sacré, et que l’on peut presque affirmer sans
se tromper que chaque haïtien a un livre entre les mains. D’ailleurs, bon
nombre d’entre eux rêvent un jour d’écrire le leur.
On n’en demande pas tant. Simplement réapprendre à aimer lire aussi ce qui
dépasse 140 caractères.
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