11 novembre 2014

Se pourrait-il que nos hommes soient malades... de détresse ?

Le raz de marée de témoignages de femmes agressées sexuellement qui a suivi la mise en lumière des agressions perpétrées par Jian Ghomeshi, m’a profondément attristée, abasourdie et perturbée. Comment se fait-il que, dans un Québec (et un Canada) qui aspirent tant à l’égalité des hommes et des femmes, il y ait une telle proportion de femmes qui ont vécu l’inimaginable et qui plus est, dans de nombreux cas par des proches ?

Dans son article Cher Foglia, vous n'avez rien compris, Louise Gendron du magazine Châtelaine écrit « Tous les hommes ne sont pas des violeurs. Mais toutes les femmes, ou presque, ont peur. Pas besoin qu’il y ait 40 000 lions dans la savane pour changer le comportement de la gazelle (...). Les femmes ont l’inconscient d’une biche. Une peur chevillée si profondément qu’elles sont incapables d’imaginer la vie sans elle. La peur comme un sabot de Denver. ». Aussi, elle explique qu’après un sondage rapide au sein de l’équipe de Châtelaine, il s’avère que pas moins de 19 femmes cumulent 6 agressions sexuelles et 63 ont vécu des incidents désagréables, soit dans des circonstances où l’on se dit « là, je suis dans la merde, ça risque de dégénérer. ». Dans certaines commentaires lus ici et là, j’ai pu aussi relever ceci : « toutes les femmes ont la peur de marcher librement dans la rue ».

Et là, je suis obligée de dire que je n’embarque pas dans ce genre de rhétorique trop empreint d’émotivité selon moi. Ici, au Québec (on n’est pas en Inde ni dans certains pays du Maghreb), ce n’est pas vrai que j’ai peur de marcher librement dans la rue. Et si je faisais un sondage autour de moi, je ne pense pas qu’il y ait tant d’amies que ça qui traînent la peur comme un sabot de Denver pour reprendre les termes de madame Gendron. Il est vrai que je ne suis pas un canon… Blague à part, je ne pense jamais à la menace d’une agression sexuelle à moins bien sûr de traverser le parc Lafontaine ou d’emprunter une ruelle seule à 2 h du matin. Certes, j’ai transmis à ma fille adolescente des notions élémentaires de prudence et surtout de respect de soi et, en tant que mère, je prie pour que rien ni personne ne la mette en danger. Toutefois, jamais ô grand jamais je ne lui ai transmis la peur de l’autre, quel qu’il soit.

En revanche, je vais avancer quelque chose ici qui risque de faire hérisser le poil de nombreuses personnes, surtout des femmes, qui vont peut-être penser que je prends la défense des hommes.  Ce qui n’est pas mon propos puisqu’ici. J'essaie juste de comprendre pourquoi, au sein d'une aussi petite population (en termes de nombre de personnes), il y ait autant de violence. Ainsi, mon questionnement est le suivant ; se pourrait-il qu’un bon nombre de nos hommes soient malades… de détresse et de blessures passées ?

Faut-il rappeler que les hommes se suicident trois fois plus que les femmes ? Faut-il rappeler qu’il y a seulement 20 ans, le taux de suicide des adolescents québécois était l'un des pires au monde (source : Le Québec n'a plus le pire taux de suicide au pays) ? Si on devait comparer le nombre d’organismes de soutien pour femmes et ceux pour hommes, je suis pas certaine qu'il y a un fort déséquilibre. Alors, qu'est-ce qu'ils deviennent tous ces hommes tourmentés mais non soutenus ?

Il y a aussi le nombre de signalements d’enfants maltraités en hausse en 2013. Pour son dixième bilan annuel, la Direction de la protection jeunesse s'inquiétait ainsi de la hausse du nombre de signalements d'enfants maltraités avec des augmentations de 12,3 % à Québec, et de 8,4 % pour la région de Chaudière-Appalaches. Pour l’ensemble du Québec, 80 540 signalements avaient été traités par la Direction de la protection jeunesse (DPJ), soit une augmentation de 4 % par rapport à l'année précédente. Dans un rapport de l’Institut de la statistique du Québec intitulé la violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 2012, on pouvait lire aussi que dans l’ensemble, les garçons sont proportionnellement plus nombreux que les filles à vivre une forme ou l’autre de violence familiale (agression psychologique répétée, violence physique mineure ou sévère). Dites-moi, tous ces enfants ne risquent-ils pas d’être un jour ou l’autre dépressifs, alcooliques, toxicomanes ou d’avoir des troubles de la personnalité ou des comportements suicidaires ?

Sous ses airs bon enfant, il me semble que la société québécoise cache une âme torturée à différents niveaux dont celui des relations entre les hommes et les femmes. Pouvez-vous me citer là tout de suite, un super beau film d’amour québécois, sensuel et romantique (sans humour ni tourmente), créé au cours des vingt dernières années ? Moi non. Avez-vous aussi remarqué que la plupart de nos séries télévisées ou webséries racontent la dynamique bancale entre les deux genres ? Les filles d’un côté, les hommes de l’autre ou si les deux se rejoignent, c’est toujours assez bancal ou jamais gagné d’avance…

Je ne veux pas minimiser la tragédie que représente l’accumulation des témoignages de toutes ces femmes courageuses, mais je crois réellement que ce serait le temps de considérer la violence faite aux femmes comme un enjeu de société dans son ensemble. Parler du respect pour les filles à nos petits gars dès leur enfance, ce serait bien, encore faut-il qu’on leur parle, à nos petits gars…

02 novembre 2014

La vie d'un militaire a-t-elle plus de valeur que celle d'un simple citoyen ?

C’est une drôle de question mais elle me trotte dans la tête depuis le 1er événement qui a causé la mort d’un militaire à Saint-Jean-sur-Richelieu. Et elle ne cesse de me hanter depuis la fusillade à Ottawa qui a semé l’émoi et la mort d’un autre innocent, militaire lui aussi. Les images de ces tristes événements m’ont bien entendu touchée comme beaucoup de monde. De là à publier la photo des deux bergers allemands qui attendaient candidement le retour impossible de leur maître (cf. feu Nathan Cirillo), il n’était toutefois peut-être pas nécessaire de franchir ce pas…

Vous remarquerez que je n’ai pas utilisé les mots « attentat » et encore moins « terroriste » dans le paragraphe précédent. Car dans mon vocabulaire à moi, cela n’en était pas. La tragédie qui a eu lieu dernièrement à la gare routière de Gombe au Nigéria, en était un par exemple. Planifié, hyper organisé et destiné à faire le plus de victimes possible dans un endroit de grande affluence, une gare routière. Sans vouloir créer d’échelle de malheur, les événements de Saint-Jean-sur-Richelieu et d’Ottawa me semblent plutôt deux actes isolés de haine et de brutalité gratuite qui ont eu pour cible des représentants officiels du Canada.

Mais je ne veux pas jouer sur les mots ici en ce qui concerne les deux tragédies. Ce qui m’a plutôt choquée au plus haut point, c’est l’usage de ces mots qu’en ont fait les conservateurs sans la réserve qu’ils se devaient de respecter dans le cadre de leurs fonctions. N’y avait-il pas lieu d’attendre les premiers résultats d’une enquête avant d’avancer la présence d’un véritable réseau de djihadistes au pays ? Quel message a-t-on voulu lancer avec tout ce cérémonial autour des funérailles régimentaires de feu Nathan Cirillo en présence même du secrétaire d'État américain, John Kerry, qui s’était soudainement intéressé à ce qui se passe au nord de la frontière ? Pourquoi avoir immédiatement utilisé des termes dignes de stratégies de guerre alors que le Premier ministre Harper et son équipe savaient très bien que le peuple canadien était sans aucun doute sous le choc ?

 « Ce ne sera plus jamais pareil. Les événements de cette semaine nous rappellent tristement que le Canada n'est pas à l'abri des attaques - des types d'attaques que nous avons vues ailleurs dans le monde», a-t-on pu entendre de la bouche de monsieur Harper (de mémoire).  « Ces gestes (des auteurs des attaques) nous amèneront à augmenter notre détermination et redoubler nos efforts et ceux de nos agences de sécurité nationales à prendre toutes les mesures nécessaires pour identifier et contrer les menaces et assurer la sécurité du Canada ».

Mais, monsieur Harper, dans quel monde vivez-vous ? Il y a bien longtemps que le monde n’est plus comme avant. Des attentats, il y en a chaque jour dans plusieurs pays du monde, lesquels font de nombreuses victimes au sein des populations locales. Même si j’ai la chance de vivre au Canada, pays de paix et sécuritaire, je fais partie de ce monde en dérive, et si je suis chaque jour consciente de la chance que j’ai, je suis aussi atterrée de savoir que tant de gens vivent dans la plus grande pauvreté ou dans la peur ailleurs dans le monde. Et je sais aussi que le pays dans lequel je vis participe d’une façon ou d’une autre à certaines dérives géopolitiques. Car il est évident que les pays occidentaux, en tous cas certains de leurs joueurs, ne sont pas étrangers au bordel qui se répand dans certaines régions du monde, notamment au Moyen-Orient. La Syrie en est un bien triste exemple. L’or noir, les gros sous et la vente d’armes sont au cœur de certaines « amitiés » ou « connexions » douteuses. Avec son super ami, les États-Unis, le Canada n’y échappe pas. Et ne parlons pas des pays européens dont la France. Comme dernier exemple, beaucoup se sont ainsi demandé pour quelles raisons « officielles » Bernard-Henri Lévy s’était rendu dernièrement en Tunisie (Bernard-Henri Lévy refoulé en Tunisie).

L’État islamique est une création de ces dérives qui perdurent depuis longtemps. Successeur d’Al-Qaïda, ce groupuscule encore plus radical instrumentalise les concepts religieux de l’islam à des fins politiques. Je me demande ainsi d’où vient l’argent nécessaire pour mener à bien ses actions. Pour parvenir à ses fins, l’EI n’hésite pas à abattre ses ennemis (Les djihadistes abattent 200 membres d'une tribu sunnite). Ainsi, les plus grandes victimes ne se situent pas dans nos pays sécurisés. Et sont pour la plupart du temps, ces musulmans que l’on associe trop rapidement à l’extrémisme islamique. Comme l’a fait Adolf Hitler à une époque, ces groupes radicaux en puissance profitent d’un état de crise sociale et économique général pour faire de la propagande et enrôler, quitte à exterminer sans scrupule leurs ennemis. Alors oui, je suis inquiète. Y compris de cette radicalisation de jeunes et de moins jeunes.

Toutefois, je n’adhère pas aux propos du gouvernement conservateur. Je n’adhère pas au fait que le Canada s’associe sans hésiter à la force de frappe aérienne décrétée par les États-Unis. Si la menace que représente l’EI est bien réelle sur le terrain, il y a aussi beaucoup de gens qui sacrifient leur vie pour le combattre et qui vont être des victimes collatérales de ces frappes aériennes. Le bordel n’en sera que plus grand. Cela aurait été bien que notre pays démontre un véritable pouvoir d’influence pour penser avec ses alliés, y compris musulmans, à une solution politique. Ce qui n’empêche pas bien sûr nos services de renseignements déjà fort compétents de rester vigilants, comme ils l’avaient été avec les auteurs des derniers drames. Mais pensez-vous vraiment qu’il aurait été possible pour eux de prévenir les actes de folie de Moncton, Saint-Jean-sur-Richelieu et Ottawa ? Isolés, ils me font plutôt penser à des actes suicidaires de personnes d’abord au bout du rouleau psychologiquement avant d'être des adeptes de l'EI. Alors, s’il vous plaît, monsieur Harper, ne profitez-pas de telles situations pour jouer les gros bras avec l’Oncle Sam.

27 septembre 2014

Ma fille n'aime plus l'école et je la comprends...

Bien sûr que non, je ne lui ai pas dit… C’est entre vous et moi. Mais mon constat est le suivant : l’éducation en fin de secondaire est du bourrage de crâne. Ma fille a fait sa scolarité jusqu’à aujourd’hui dans le système public d’éducation. D’excellentes années au primaire, et de très belles au secondaire… jusqu’à cette année où elle débute son secondaire 4 dans son école à vocation particulière art dramatique où les relations élèves et professeurs ont toujours été très bonnes. Emballée à la veille de la rentrée, elle a rapidement déchanté au bout de deux semaines seulement. J’écoutais ses doléances d’une oreille distraite car une ado est une ado, ça a tendance à rouspéter pour rien…

Sauf que j’ai assisté à la rencontre parents-professeurs organisée à l’école la semaine dernière. Et là, j’ai su et j’ai compris. L’année va être difficile. Les professeurs avaient déjà l’air découragé et à les écouter, je l’étais moi-même. Que s’est-il donc passé ?

J’ai peut-être une explication, que voici. Vers la fin du secondaire 3, les jeunes sont entrés dans le vrai monde, celui de la performance et des modèles de réussite préétablis. Car on leur demandait de faire un choix qui semblait pouvoir avoir des répercussions sur la suite de leur parcours scolaire et sur leur avenir professionnel. Alors toi le jeune, tu choisis TS (mathématique, séquence Technico-sciences) ou CST (mathématique, séquence Culture, société et technique) ? Ce sont les deux voies proposées dans l’école de ma fille. Sachez qu’il existe aussi SN (mathématique, séquence Sciences naturelles), STE (science et technologie de l’environnement de la 4e secondaire) ou SE (science et environnement).

Très vite ont circulé dans les couloirs et entre les élèves des rumeurs sur le fait que la filière TS allait ouvrir les portes de tous les cégeps tandis que la filière CST, bof… Il y avait déjà les bons et les moins bons, il y avait ceux qui réussiront et ceux qui auront des métiers qui ne paieront pas beaucoup. Certes, un grand nombre d’élèves a choisi TS par choix ou par obligation des parents, ce qui a nécessité la création de deux classes ; les autres par choix, ou parce qu’ils ont un niveau en maths plus faible, ont choisi CST et se retrouvent dans une seule classe de 32 élèves. Un melting pot d’apprenants aux nombreux défis (démotivation et troubles d’apprentissage) et aux niveaux de connaissance divers (certains sont passés entre les mailles du filet et les retards se sont alors accumulés au fil des ans). Je conclurai ce tableau bien sombre sur le fait que le secondaire 4 est l’année la plus importante en vue de l’acceptation au cégep et que le programme de l’année est très lourd en raison des exigences du Ministère. Les élèves et leurs professeurs doivent passer au travers une tonne de sujets en l’espace de quelques mois seulement. À côté de cela, les apprenants se coltinent la même matière en histoire, soit celle du Canada et du Québec pendant deux années consécutives. En secondaire 3, elle est étudiée d’un point de vue chronologique, en secondaire 4, elle l’est par thèmes. C’est à n’y rien comprendre.

Assise sur ma chaise de classe lors de cette rencontre avec les professeurs, je me revoyais à l’école à cet âge-là et avec les mêmes défis. On devait également choisir notre parcours. J’avais opté pour la filière lettres et langues étrangères, la « poubelle » pour bon nombre de personnes, notamment les bollés des sciences et maths. Ça fait plus de trente ans et ça n’a donc pas changé… ?

Je ne cherche pas ici à dénoncer le travail des professeurs ni à dénigrer de quelconques difficultés d’apprentissage. Mais je ne peux que constater que la course au diplôme est l’unique raison d’être qui motive ainsi des heures et des heures de bourrage de crânes et d’apprentissages par cœur. Qu’en reste-t-il une fois le diplôme en main ? Le ministère de l’Éducation reste l’instance souveraine qui, du haut de son donjon, impose des prérequis et exige des résultats sans s’adapter aux réalités vécues par les jeunes et à leurs nouvelles connaissances. Parce qu’ils en ont et qu'elles évoluent très vite !

De nos jours, on parle beaucoup d’éducation mais comme valeur marchande uniquement. Or, on aura bien beau réduire les budgets, le problème de fond restera le même : l’école d’aujourd’hui doit être repensée. Elle doit réfléchir à la place qu’elle peut donner à l’élève dans l’élaboration de son propre processus d’apprentissage, elle doit accepter l’introduction de types d’éducation non traditionnels qui pourraient s’arrimer à l’enseignement formel existant. Ma fille, par exemple, n’a jamais été aussi engagée dans un cours d’histoire que le jour où elle et une amie ont décidé de monter une vidéo sur un sujet qu’elles ont choisi, la crise d’Octobre. Recherche de photos, voix hors champ, montage, etc. Le résultat final était bluffant. Plutôt que d’apprendre par cœur ce qu’un professeur ou un livre lui a raconté, elle a puisé elle-même dans les carnets de l’histoire pour créer son récit à elle. 

Alors, oublions un peu les gros sous, et pensons créativité et inventivité.

17 septembre 2014

La seule retraite qui m'intéresse, c'est celle de... Marie-France Bazzo

Mais oui, bien sûr, c’est une blague même si je rêve (non, j’ai l’objectif) d’animer un jour ma propre émission. Et puis, je devrais attendre longtemps car je ne pense pas que mon idole va prendre sa retraite du micro de sitôt. De toute façon, a-t-on vraiment envie de battre en retraite quand on aime ce que l’on fait ? Parlez-en à un certain monsieur Languirand !

Non, je cherchais plutôt une façon légère d’aborder un sujet beaucoup moins drôle, l’épargne pour la retraite. Comme les saisons, les cris d’alarme sur le faible niveau d’épargne des Québécois en vue de leur retraite reviennent régulièrement hanter les bulletins de nouvelles. Qui va payer? L’état pourvoyeur aura-t-il les moyens de soutenir un revenu de retraite décent à sa population vieillissante ? Que faire pour encourager le peuple à épargner toujours plus alors que fondent comme neige au soleil ses meilleures intentions et ses bas de laine ? En plus de précieux conseils, de petites vidéos sont diffusées dans les médias comme autant de petites leçons de vie. Ici, une famille surendettée qui reconnaît vivre au-dessus de ses moyens. Là, un couple qui préfère se priver de sorties au restaurant, de télévision ou d’autres gadgets de communication moderne pour mieux vivre leur passion du voyage.

Oh, bien sûr, je me sens à chaque fois interpellée par le sentiment d’urgence évoqué par les chroniqueurs ou les conseillers financiers. J’ai même l’impression qu’ils s’adressent directement à moi : « Eh toi, oui toi là, c’est bien à toi que l’on s’adresse, tu as la quarantaine bien sonnée et tu n’as pas beaucoup d’épargne ? Mais qu’est-ce que tu attends ? Tu as déjà pris bien du retard. Il est même peut-être trop tard… ».

Hé là là, qu’on est loin du rêve « Liberté 55 » dont certaines générations auront quand même eu la chance de profiter pour se la couler douce dès la mi cinquantaine avec un revenu décent assuré jusqu’à la fin de leurs jours. Les chanceux… Mais de nos jours, à part pour quelques ordres professionnels encore privilégiés, y a-t-il vraiment quelque chose de garanti pour assurer à qui que ce soit une retraite où le petit café du matin aura le délicieux goût du temps qui passe doucement ? En plus de la triste réalité d’aînés de plus en plus nombreux qui vivent une retraite de misère, des manchettes mettent aussi trop souvent à jour le cas de personnes qui sont dépouillées de leur épargne par des malfrats en cravate ou dépossédées d’une partie de leurs épargnes en raison de difficultés financières du régime de retraite de leur employeur. Certains se retrouvant ainsi du jour au lendemain sous le seuil de la pauvreté après avoir travaillé toute leur vie. À ce titre, les prochaines semaines au Québec rappelleront le cas de travailleurs qui doivent se battre pour défendre des gains chèrement acquis. Même si je fais référence ici aux employés municipaux qui ne sont certainement pas les plus à plaindre sur l’échelle de la débandade quant à la retraite grâce  à des régimes de retraite assez généreux, leur lutte pour leurs droits reste légitime.

Je précise « pas les plus à plaindre » car il y a tous les autres, ceux qui n’ont pas de régime de retraite d’employeur, ceux qui n’ont pas de REER ou un tout maigrichon, ni même de petites économies, il y a les précaires, les temporaires, les saisonniers, les employés au salaire minimum, les travailleurs autonomes, bref tous ceux qui font baisser le faible taux de chômage mais qui viennent gonfler la liste des personnes qui vont certainement devoir ramer dur jusqu’à perpète. Dans leurs cas, que signifie vraiment le mot « retraite » ?

De ceux-là, j’en fais partie. Il y a deux ans, j’ai participé à l’émission L’après-midi porte conseil animée par Dominique Poirier sur les ondes de la Première chaîne de Radio-Canada. Ce jour-là, on y parlait de retraite (la preuve que c’est un sujet qui revient régulièrement). « La retraite  ? Je n’y pense pas, bien trop occupée à vivre le moment présent » avais-je indiqué. « Comment puis-je me projeter dans l’avenir alors qu’au moment où je vous parle, mes principales préoccupations sont de m’assurer un niveau de vie décent, de payer mes factures à temps, d’assurer un bon niveau d’études pour ma fille, etc. Mettre de l’argent de côté ? Oui, je le fais quand je le peux et, heureusement, car cela m’est utile pour les petits ou les gros pépins mais aussi pour me payer des petits plaisirs de temps en temps. J’ai bien le droit, non ? ».

Car, comment me projeter 30 ans plus tard alors que je ne sais pas jusqu’à quand je vais devoir travailler. 70 ans ou plus ? Et puis, de quoi sont faits nos lendemains ? On ne le sait pas toujours. Mon père est décédé à la veille de ses 50 ans après avoir travaillé comme un fou et n’avoir profité de rien. Pour ma part, j’ai changé de continent (volontairement) à 28 ans avec l’obligation de recommencer ma vie professionnelle à zéro. Il y a quatre ans, je gagnais 60 000 dollars, deux ans après, mon revenu était de 18 000 dollars parce que j’ai décidé de me lancer à mon compte (on ne le dit pas assez mais ça coûte cher, l’entrepreneuriat… ).

Non, vraiment, j’ai du mal à concevoir le fait de travailler toute ma vie pour assurer une période de celle-ci où je ne serais peut-être plus assez… vivante. Plus d’argent ? Eh bien, j’irais vivre dans un petit village en bord de mer à me nourrir de fruits et de poissons fraîchement pêchés. Ça, c’est un vrai projet de retraite. En plus, je n’aurais pas graissé au passage les revenus d’institutions financières souvent promptes à recevoir votre épargne mais peu à vous épargner des soucis en cas de difficultés passagères. Surtout si vous êtes une mère célibataire monoparentale (bip), locataire (bip, bip) et travailleure autonome (bip, bip, bip)…

14 août 2014

Robin Williams, la dépression et... Gilbert Rozon

Toute aussi triste qu’inattendue, la mort de l’acteur et humoriste Robin Williams a frappé l’imaginaire, et les messages empathiques se répandent depuis sur les réseaux sociaux. Certains, trop enclins à démontrer leur grand cœur et partager leurs bons sentiments (oui, vous pouvez lire ici une pointe d’ironie) se sont toutefois mélangés les pinceaux en le confondant avec le chanteur britannique Robbie Williams.

Au-delà de la mort de l’artiste, beaucoup de choses ont été dites, redites et trop relayées par nos médias – y compris la sérieuse Radio-Canada – autour des circonstances tragiques entourant son départ.

Se pourrait-il donc que certains journalistes ou rédacteurs en chef n’aient pas suffisamment de sujets à traiter pour décider de gonfler au maximum une nouvelle ? Il semble bien que oui. Car le cas de Monsieur Williams, acteur et humoriste, leur a ouvert toute grande la porte pour se pencher sur LA question : nos humoristes sont-ils en danger ?

Comme le titrait si bien cet article de Lapresse.ca, la détresse qui se terrerait derrière l’humour est devenue en un rien de temps le sujet de l’heure. Et pour lancer le débat, quoi de plus pertinent que de faire appel, notamment, au grand manitou du rire au Québec, Gilbert Rozon, quitte à le déranger, si j’ai bien compris, pendant ses vacances en Écosse. Toute une réflexion de fond, vous ne trouvez pas ?

Certes, rire haut, fort ou gras, c’est bon pour le moral et la santé. Toutefois, ce n’est pas parce qu’on rit que c’est toujours drôle. Pour ma part, j’ai vraiment commencé à rire jaune au fil des chroniques de certains médias. TVA Nouvelles a même poussé la bêtise jusqu’à diffuser en primeur que même le gorille Koko pleure Robin Williams – image à l’appui ! Oui, monsieur ! Comme le souligne une personne dans un commentaire, je cite : «Si on en est rendus à se demander ce qu'un gorille pense de la situation, les médias doivent avoir fait le tour »… 

Qu’est-ce qui s’est passé pour que l’on soit descendus aussi au ras les pâquerettes en termes de contenu médiatique et de conversation, cette fois-ci autour de la disparition d’une vedette dont on se foutait bien de la santé mentale jusqu’au jour fatidique ? Mais oui, bien sûr, parce que c’est un humoriste ! En effet, en plus de la bouffe et des chroniques/émissions de cuisine ou d’alimentation et de la météo, l’humour n’est-il pas l’autre moteur de la société québécoise ? Pas étonnant alors que l’on s’inquiète d’une éventuelle détresse chez nos humoristes. Tout se tient.

Pourtant, on aurait pu choisir de traiter la nouvelle de la disparition de monsieur Williams pour rappeler ce qu’est la dépression et, pourquoi pas, amorcer le début d’une réflexion sur notre perception collective du bonheur. Car la stupéfaction qu’un grand nombre d’entre nous a ressentie et certains commentaires publiés démontrent à quel point les notions de dépression ou de mal être ne sont pas encore bien comprises. « Voyons donc, un homme qui avait du succès, de la reconnaissance, de l’argent, une famille, ça ne peut pas sombrer comme ça ! » teinte ainsi le fond de la pensée de plusieurs d’entre nous. Réaction tout à fait normale dans une société devenue hyper matérialiste où chaque individu est associé à ce qu’il possède (objets, profession, loisirs, argent, nombre d’amis, relations amoureuses, etc.) et qui le distingue donc forcément des autres. Le réseau social Facebook matérialise parfaitement la dynamique humaine basée sur une perception instantanée de l’autre par le biais de son image sociale. Si on pouvait un jour réaliser qu’être riche, ce n’est pas avoir beaucoup, c’est avoir besoin de peu… Je n’ai pas dit « rien ». Si l’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue quand même, on est certainement bien d’accord là-dessus.

Ne pensez-vous pas qu’il serait temps de ré-apprivoiser l’art de la conversation. Un simple « ça va ? » lancé sans y penser ne suffit pas à entrer en contact. Combien de fois nous arrive-t-il de ne pas prendre la peine d’attendre ou d’écouter la réponse de l’autre pour mieux poursuivre notre chemin ?

L’humoriste (encore !) Anne Roumanoff, dans un de ses sketchs, lance la phrase suivante (en référence à l’utilisation continue d’un téléphone intelligent) : « à force d’utiliser ton appareil, tu te rapproches des gens qui te sont loin et tu t’éloignes de ceux qui te sont proches. ». Il est bien facile et pratique, certes, de faire le procès de ces technologies modernes, il n’en demeure pas moins que la civilité et la considération désertent de plus en plus nos relations humaines (cf. si vous cherchez un emploi, vous avez certainement de beaux exemples à partager).

Comme il est impossible de tout changer à la fois, je suggère que nous réfléchissions à notre relation à l’apparence. Car tout n’est que jeux de masques dans toutes les sphères de la vie : ne pas paraître faible, ne pas être en difficulté financière, ne pas vivre seul, ne pas prendre de vacances (ça paraît bien auprès du boss), ne pas embêter les autres avec nos soucis au risque de devenir toxique et de se faire jeter comme un déchet, surtout ne pas pleurer, rester fort, être le plus souvent possible de bonne humeur, faire du sport (de haut niveau, c’est mieux), sembler jeune (le plus longtemps possible), avoir les meilleurs plus beaux enfants du monde, intelligents et bien élevés avec des prénoms originaux si possible, posséder le dernier gadget disponible sur le marché, avoir un magnifique chien, etc.

Comment peut-on alors avoir un contact authentique avec les autres ou plus encore, comment déceler chez eux la moindre once de tristesse ou de mélancolie ?

C’est ça un vrai débat de société, et ça englobe bien entendu nos humoristes bien-aimés. Ça vous tente d’y participer, dans la joie et la bonne humeur bien sûr ?

30 juillet 2014

RBO et les Dead Obies : deux groupes, deux siècles...

Récemment, nous avons eu droit à une petite prise de bec entre deux vedettes des médias. L’un, Christian Rioux, correspondant du Devoir à Paris, et l’autre, Marc Cassivi, chroniqueur culturel de La Presse. L’objet de la discorde : la dérive du français dans l’univers musical. Ainsi, le premier semble faire des syncopes à chaque fois qu’il entend le buzz montréalais, les Dead Obies, un groupe de rap qui chante en franglais (au passage, il a également écorché le groupe Radio Radio qui chante en chiac). Dans un article, il avait ainsi partagé ses inquiétudes quant à l’évolution de la langue française et sa pérennité en Amérique du Nord si de tels groupes musicaux sévissaient de plus en plus. Et Marc Cassivi de lui répondre d’aplomb dans une chronique dans laquelle il s’aventurait même à identifier monsieur Rioux  à un « certain groupe de curés réactionnaires qui s’inquiète de l’extinction imminente de la « race » québécoise (si, si, il y avait trois petits points à la fin de sa phrase).

Bref, une tempête dans un verre d’eau. Car s’il avait fallu relever la qualité de la langue française, il aurait fallu s’attaquer à un mal bien plus profond : le relâchement de l’ensemble de la population dans son utilisation du français, tant d’un point de vue d’expression que d’écriture. Y compris le monde des médias (lisez le site Internet du journal La Presse pour constater de plus en plus de fautes d’orthographe ou d’erreurs grammaticales quand ce n’est pas la pauvreté du vocabulaire…). Or, pour remédier à ce problème, il faudrait d’abord le reconnaître et nous retrousser les manches collectivement. Apprendre à aimer le français (dès les premiers bancs d’école) pour mieux le maîtriser, l’enseigner, l’écrire, le chanter, voilà le grand défi. Et la solution pour cesser de « freaker » devant les autres langues ou certaines de leurs « unions mixtes »…

Mais sommes-nous véritablement prêts ? Pas sûr.

En attendant, on fait des crisettes et on jase. Dans le cas des Dead Obies, on a creusé le fossé entre générations, époques et écoles de pensée. Soit ceux et celles qui écoutent, aiment et comprennent des groupes comme le leur (forcément des jeunes dans le coup) et les autres qui détestent ou ne connaissent pas (automatiquement des ringards) :

En attendant, on a encore et toujours mélangé le fond (oublions le français international puisque ça grince à chaque fois, parlons plutôt d’un français soigné – attention, je n’ai pas dit pointu) et la forme (l’accent et les régionalismes – cf. l’éloquence de nombreux Africains francophones est exemplaire) ;

Bref, en attendant, on s’est vautrés dans ce qu’on sait faire le mieux : regarder en arrière, chialer et rejeter la faute sur l’autre.

Pourtant, le chialage, c’est d’la marde, comme dirait Lisa LeBlanc (une autre écorchée par Christian Rioux). Et puis, quand on y pense bien, les Dead Obies sont un peu les RBO (1981-1995) d’aujourd’hui. D'ailleurs, ces derniers n’ont-ils pas commencé leur spectacle The Tounes (!) présenté lors du Festival Juste pour rire le 23 juillet dernier avec leur fameuse chanson I want to pogne ?

Mais la différence tient au fait que les Dead Obies sont bien du 21e siècle, que c’est nouveau et que ça fait du bien ! Car de cette nostalgie du passé latente et fatigante, je n’en peux plus. De cette tendance à l’autopromotion, à une médiatisation biaisée et de plus en plus portée sur le réseautage, le copinage et le buzz, à l’homogénéité de la culture devenue principalement industrie, j’en ai marre. De la surabondance de festivals en tous genres, parfois à coups de grasses subventions (quel est par exemple le montant de celles octroyées au Festival Juste pour rire année après année ?), j’en ai parfois et même de plus en plus souvent la nausée.  « L’affaire » des Dead Obies, c’est de la publicité gratuite pour eux certes, mais c’est surtout l’ouverture à une démarche artistique en marge d’une distribution commerciale. Loin de cette norme qui nous engourdit et qui ennuie.

Entendons-nous bien, je ne rejette pas en bloc la culture du divertissement omniprésente. J’en achète et j’en use. Mais j’ai comme une désagréable impression qu’elle s’est insérée dans toutes les sphères de notre culture avec un grand C : médias, humour, cinéma, théâtre, littérature, radio, télévision, etc. Je suis convaincue qu’un accès grand public à des courants de pensée émergents et divergents pourrait être également inspirant… tout en bousculant un certain ordre établi.

Il y a quelques mois, j’ai rencontré une jeune femme que je souhaitais interviewer dans le cadre de mon émission sur les ondes de Radio Centre-Ville. Nous avons pris rendez-vous dans un petit café du Mile-End. Et nous avons discuté de son grand pari. Elle s’appelle Léa Jeanmougin, elle a 26 ans, et avec ses économies, elle a créé en 2012 un magazine imprimé, CITTÀ – mot italien unique pour ville et villes (www.cittamagazine.ca). Mais attention, comme elle le dit elle-même, celui-ci « tend à naviguer en marge du monde médiatique qui a tendance à préférer les gros sabots aux ballerines ». Dans un univers de plus en plus numérique, Léa et sa petite équipe publient deux fois par année (pour le moment) ce magazine de création, d’art et de culture citadine qui déballe 84 pages sur le thème : la ville est à nous. Chaque numéro se veut un portrait croisé entre une métropole internationale et Montréal pour mieux parler de notre ville, l’observer, la comparer et la rêver. Après Casablanca et Berlin, le dernier numéro de CITTÀ nous a emmenés à Mexico, où plusieurs collaborateurs locaux nous ont plongés dans autant d’univers que la photographie, le design ou la mode. Impressionnant, non ? Et tellement représentatif d’une relève symbolique de cette créativité de Montréal dont on parle tant dans le cadre de conférences à grands frais mais que l’on n’invite pas toujours.

Je vous laisse sur une phrase relevée dans CITTÀ : « Quand on fixe son nombril, on rate l’horizon. Bref, la vérité est ailleurs ».

24 juin 2014

Mes premiers amis à mon arrivée au Québec ? Aimé « Ti-Mé » Paré et Ron Fournier…

Certaines personnes n’ont jamais quitté leur maison d’enfance en succédant ainsi à leurs parents et parfois même à leurs grands-parents. J’en connais, vous en connaissez certainement. Je doute qu’à Montréal, on en trouve beaucoup si l’on considère sa journée officielle du déménagement ancrée depuis bien longtemps dans le calendrier. Ainsi, chaque 1er juillet, on assiste à un mouvement de migration urbaine qui s’achève par le spectacle de vieux meubles et de détritus en tous genres sur les trottoirs, quand ce n’est pas hélas des chiens, des chats ou autres animaux de compagnie laissés sur le carreau.
En ce qui me concerne, il y a belle lurette que j’ai quitté ma maison d’enfance. Et si j’y pense bien, c’est au Québec que j’ai vécu le plus longtemps au même endroit. Le gène de la bougeotte, ce sont mes parents qui me l’ont transmis. Les premières années de ma vie, je les ai passées avec eux dans une caravane qui se déplaçait au gré des chantiers routiers sur lesquels « régnait » mon père. Je devais changer d’école tous les six mois. Puis vint un temps, quand la famille se fut agrandie, où nous avons posé nos pénates dans une vraie maison dans une petite ville située à l’extrême nord de la France (pour que vous ne confondiez pas avec la Normandie, pensez au film Bienvenue chez les Ch’tis). Ce furent les plus belles années de mon enfance ; je me souviens très bien de ces mercredis sans classe où ma mère décidait sur un coup de tête de nous emmener, mon frère, ma sœur et moi, à la plage. Ici, je parle de la mer du Nord réputée plutôt pour son immense trafic maritime et sa pollution que pour son eau turquoise.
Beaucoup plus tard, après un court transit en banlieue parisienne, j’ai réalisé mon rêve de vivre dans un appartement à Paris intra-muros au prix d’un gros prêt à la banque… Et puis l’amour s’est pointé le bout du nez sans crier gare. Vous savez ce que c’est, quelque soit l’âge, on ne réfléchit pas trop et on vit de bonheur et d’eau fraîche. Lui, attiré depuis toujours par l’Amérique du Nord, n’a donc pas eu grand mal à me convaincre de le suivre dans une grande aventure au Canada, même s’il fallait abandonner travail, appart, amis et famille. Dès lors, le compte à rebours a commencé en vue du grand déménagement. Pendant un an, nous avons fait les démarches nécessaires (même une visite médicale pour vérifier que nous n’avions pas la syphilis) pour obtenir notre statut de résident permanent. Que nous avons obtenu tous les deux fort heureusement, car ce n’était pas gagné d'avance. Nous avons tout vendu, dit au revoir une dernière fois à nos proches et à nos amis. À ce stade-là, plus question de faire marche arrière.

La veille de notre départ, les bagages bouclés, les papiers en règle et la cage de transport pour notre chat prêts au grand départ, la panique nous a saisis tous les deux avec un gros doute et la désagréable impression d’avoir fait la plus grande gaffe de notre vie.  Aux petites heures du matin, vint pourtant le moment de fermer les portes derrière nous.

Le 9 juillet 1995, nous débarquions à Montréal. Il faisait très chaud. Après d’interminables vérifications au bureau d’immigration et au service vétérinaire, nous avons enfin réellement mis les pieds sur le sol québécois. Direction l’hôtel Taj Mahal (qui acceptait les animaux) situé au Terminus Berri où nous avions réservé trois nuits, le temps de nous trouver un logement.
Je vous parlais plus tôt de grande aventure ? Elle le fut vraiment…  
Premières acquisitions: un vélo pour lui et un pour moi. Nous avons visité les différents quartiers de Montréal et oui, nous avons atterri dans un 4 ½ sur le Plateau. Pas par prétention (puisque nous ne savions rien de la réputation du quartier; seules la beauté de ses rues et la proximité de toutes sortes de commerce ont penché dans la balance). Imaginez, à l’époque, nous avons réussi à louer un appartement sans avoir d’emploi, ni mon conjoint ni moi ! Je ne suis pas certaine que ce soit encore possible aujourd’hui. Comme nos meubles étaient en route dans un container embarqué sur un bateau, nous avons emménagé et vécu les premières semaines de notre nouvelle vie dans un appartement vide. Heureusement, le concierge de l’immeuble, d’origine péruvienne et qui en avait certainement vu d’autres, nous a gentiment prêté un vieux matelas (oui, oui, nous avons dormi dessus sans hésiter ; là encore, je ne suis pas certaine que je ferais la même chose aujourd’hui), un canapé dans lequel, en revanche, je n’ai jamais posé mes fesses considérant son état de délabrement. Enfin, et non des moindres, une télévision noir et blanc 13’’ que nous avons installée dans un coin du salon… vide. Entretemps, nous avions acheté un transistor. Le luxe, quoi !
À la télé, nous regardions régulièrement les épisodes de La p’tite vie. Je ne cacherai pas qu’il fallait tendre un peu plus l'oreille pour être sûrs de bien comprendre. À la radio, je me souviens très bien de ces tribunes téléphoniques de sport animées par Ron Fournier. Rien de tel pour plonger dans la culture de votre pays d’adoption. Ça m’a certainement bien servi puisque je n’ai jamais eu de difficultés à comprendre qui que ce soit. Il faut dire que les tonalités du pays des Ch’tis ont quelques ressemblances avec celles du Québec.
Bref, c’était ma petite séquence souvenirs. D’habitude, quand je débute mes phrases par « je me souviens », c’est que je suis un peu pompette.  Je vous promets d’avoir écrit ce texte avec toutes mes facultés.
Sur ce, bon déménagement à ceux et celles qui « migrent » cette année !
Il n’est rien de constant si ce n’est le changement – Bouddha

11 juin 2014

Citation...

« If you're brave enough to say goodbye, life will reward you with a new hello. »
Paulo Coelho, romancier et interprète brésilien

Message au maire de Montréal : « Vous vous trompez de pics... »

Monsieur Coderre,

cette semaine, nous avons eu droit à une de vos sorties en règle en tant que Super-maire-Coderre dans l’affaire déplorable des pics anti-itinérants auxquels quelques commerçants et gérants d’immeubles avaient eu la drôle (pas vraiment le bon terme) d’idée d’avoir recours pour chasser les indésirables.

Rapide sur la  « gachette » des réseaux sociaux, vous avez dégainé votre stupéfaction et votre dégoût en dénonçant comme il se devait cette situation inacceptable, et en ordonnant illico presto leur retrait. Aussitôt dit, aussitôt fait. Jusque là, rien à redire tant le recours à ces pics était inhumain et désolant. Bien entendu, cela a aussi constitué un sujet assez croustillant merci pour dépêcher journalistes, micros et caméras sur place. Hey, c’est de la nouvelle ça, monsieur !

Pourtant, les raisons de votre colère, et de la nôtre, ne devraient pas seulement être destinées à ces décisions bancales. Les véritables « pics de la honte », comme vous les avez qualifiés, sont ailleurs. Ce sont plutôt cette progression constante de la pauvreté qui touche une frange de plus en plus grande de la population ainsi que l’étendue de l’itinérance urbaine. Vous êtes une personne qui brassez beaucoup d’air et qui réagit promptement ; j’aimerais tellement vous voir brasser autant d’air que vous l’avez fait cette semaine en mettant en place des mesures immédiates, drastiques et quantifiables pour réguler vers le bas ce foutu taux de pauvreté dans la métropole. J’aimerais tellement vous voir bomber le torse de fierté en annonçant des résultats probants, comme vous l’avez si bien fait lors de la conférence de presse qui confirmait l’entente sur la prolongation du Grand Prix pendant dix ans.

Car Montréal va mal. Vraiment mal. Et, sauf une mauvaise foi de ma part, ce ne sont pas les 70 à 90 millions de dollars de retombées économiques du Grand Prix qui vont changer les choses. Sinon, on l’aurait vu depuis que l’événement se déroule ici, non ? Or, au détour de nos rues, de nos quartiers ou de nos ruelles, il y a de plus en plus de foyers de désolation, tant d’un point de vue architectural que de société. J'utiliserais presque le mot « misère » pour définir certaines réalités. J’ose donc espérer que ces retombées dont vous parlez avec tant d’enthousiasme « retomberont » dans les quartiers de Montréal.  Pas seulement dans les poches de certains membres et partenaires de l’industrie touristique, ni dans celles de joueurs influents et porteurs de la renommée de Montréal comme la « Mecque de l’industrie du sexe en Amérique du Nord »...

Montréal va mal. Vraiment mal. Ça se voit, ça se sent. Ça se vit. Dans bon nombre de domaines professionnels, le marché est saturé et les salaires sont de plus en plus précaires. Les plus jeunes et les immigrants en bavent. Ceux au-dessus de 45 ans tout autant. À moins d’être planqués comme fonctionnaires ou syndiqués bien sûr... Pas étonnant d’apprendre que 60 % de jeunes voudraient vivre ailleurs qu’au Québec. Et pas seulement les jeunes qui ont toute la vie devant eux pour découvrir le monde et ses possibilités (je dirais même que c’est normal et vital). Il y a aussi les autres, des professionnels qualifiés et expérimentés, qui se retrouvent face à un marché du travail fermé ou devenu inadapté tant les emplois sont sous-qualifiés ou sous-payés, ou les deux.

On dit souvent que lorsque Montréal va mal, c’est le Québec qui décline. En effet la province s’appauvrit et ce n’est pas faute d’avoir essayé de contribuer à son essor. Malheureusement, nous sommes nombreux à avoir la ceinture serrée au maximum sans réel horizon d’avenir.  D’autant que l’avenir, on ne cesse de le prédire morose avec des gels d’embauches, des coupures, de l’austérité et tutti quanti. Pendant ce temps, la Commission Charbonneau nous rappelle chaque jour qu’au sein d’un aussi petit peuple et territoire occupé, il y a un nombre effarant de pommes pourries.

Alors oui, de plus en plus de personnes songent à quitter le Québec. En l’espace de quelques mois, deux familles – dont une qui vivait à Montréal depuis 15 ans – et deux personnes très proches de moi sont parties. J’y songe aussi tant je vis depuis trois ans dans une précarité de plus en plus grande. Difficulté à trouver un travail, des mandats, des salaires de plus en plus bas. Il n’y a pas si longtemps, j’ai même été BS, la honte… Pas parce que je ne voulais pas travailler ni parce que je n’ai pas de qualifications. Remarquez, il me reste à tester les banques alimentaires aux côtés de ce 11 % de travailleurs qui les fréquentent…

Bref, à vous, monsieur Coderre et autres décideurs, je dis que ce n’est pas seulement des grands argentiers de ce monde comme Bernie Ecclestone (qui doit bien rire sous cape) qu’il faut retenir ou les touristes américains qu’il faut attirer. Ce sont aussi et surtout la qualité de vie des citoyens qu’il faut préserver. Bien entendu, cher maire de Montréal, vous n’êtes pas responsable à vous seul de ce gâchis montréalais qui a été nourri par un je-m’en-foutisme et/ou une incompétence généralisée ces dernières années. Mais aujourd’hui, il y a urgence tant Montréal est défiguré par des infrastructures devenues désuètes, par sa saleté omniprésente, par sa congestion continuelle, et par son manque de peps. Notre ville n’était pas dans cet état il y a dix ans. Elle avait tous les atouts pour rayonner. Malheureusement, elle n’a pas eu les leaders qu’elle méritait. Vous qui savez si bien brasser de l’air, monsieur Coderre, j’espère que vous ne le ferez pas pour rien et que vous mettrez tout en œuvre pour que Montréal redevienne une ville fière et non plus amère. Sinon, vous le savez bien, quand l’air n'est plus brassé, il ne retombe souvent que de la poussière.

30 mai 2014

Bébé Victoria ou la dérive de nos médias

Vous allez peut-être me trouver sans cœur en lisant les premières lignes de mon billet. Sans cœur car j’ai choisi un événement qui a bouleversé le Québec pour développer mon propos, soit l’enlèvement du bébé à l’hôpital de Trois-Rivières. Or, sachez que j’ai un cœur gros comme ça et j’imagine bien les heures d’angoisse qu’ont dû vivre les parents et leurs proches. Fort heureusement, le poupon a été retrouvé quelque trois heures plus tard.
Première constatation : pourquoi s’étonner toujours autant de l’impact des réseaux sociaux comme si on venait de découvrir leur existence ? Ils font pourtant partie de notre quotidien depuis pas mal d’années. De plus, leur raison d’être est d’être viral. Viral comme dans virus ; donc c’est sensé se propager rapidement, non ?

Deuxième constatation : avait-on vraiment besoin de publier une photo gros plan du bébé avec sa petite peluche ? Aurait-on pu respecter l’intimité et le soulagement des parents plutôt que de les jeter en pâture médiatique notamment avec cette entrevue dans leur chambre d’hôpital ? Déboussolés, j’imagine qu’ils n’ont pas vraiment eu toute la force nécessaire de repousser la horde de journalistes-vautours à leurs trousses. Quel exploit pour celui ou celle qui décrocherait LE scoop… (il faut dire que ces journalistes répondent à la commande de patrons empêtrés dans une quête de rentabilité avant tout, au détriment de la qualité).

Même Radio-Canada joue dorénavant le jeu de cette information voyeuriste, facile et rabâchée. Au lendemain de l’événement, du matin au soir, chaque bulletin d’information et plusieurs émissions notamment sur Ici Radio-Canada Première ont fait leurs choux gras avec la nouvelle. Plutôt que de revenir sur des faits désuets (le retour sur les événements) et des détails pour faire pleurer dans les chaumières, il aurait pourtant été opportun de se demander comment une jeune femme de 21 ans autrefois pimpante et pleine de vie en était-elle arrivée à commettre un tel acte (une sorte d’appel à l’aide ou même de suicide) gonflée à bloc de médicaments et de détresse ? Quel constat devrions-nous en tirer sur l’état de notre société ? Devrait-on revoir la prise en charge des personnes – de plus en plus nombreuses – aux prises avec des troubles mentaux ? Car, ne soyons pas dupes, il faut s’attendre à des actes de plus en plus violents.   

Un autre exemple de cette information sensationnaliste et voyeuriste ? L’accident de vélo de Pierre-Karl Péladeau. Pendant toute une journée, nous avons entendu le récit de sa chute et son bilan de santé officiel. Je comprends qu’il s’agit d’une personnalité publique mais de là à répéter ad nauseam qu’il allait bien et qu’il allait devoir se déplacer en fauteuil roulant, le pauvre, il y a des limites. Vous n’êtes pas d’accord ?

Je constate qu’une piètre qualité de l’information se répand de plus en plus dans nos médias. Un contenu de fond, rigoureux, instructif et enrichissant manque terriblement. Un constat qui me donne cette désagréable impression d’un repli sur notre petite collectivité et de vivre dans un vase clos où tout ce qui a de l’importance est cette information « fait divers » et la surexposition de sujets comme le sport, la météo et le divertissement.

Comment en sommes-nous arrivés à ce grand paradoxe du manque de choses à dire et de pensée unique dans un bassin de plus en plus grand de sources d’informations et d’ouverture sur le monde ? Comme je l’avais déjà mentionné dans un précédent billet, la concurrence entre Gesca et Quebecor y est certainement pour quelque chose avec leurs objectifs de rentabilité qui plombent la « liberté » de leurs journalistes, ceux-ci ayant la responsabilité de « produire de la nouvelle » – lire ici « micros-contenus écrits à partir d’infos lues, vues ou entendues » transférables sur les multiples plateformes. Pas vraiment le temps pour eux de faire du journalisme d’investigation. 

Doit-on s'inquiéter de cette homogénéisation des contenus médiatiques ? Très certainement d’autant plus que la « vérité » repose trop souvent dans ou entre les lignes et les dires d’un groupuscule de journalistes-chroniqueurs* comme je l’avais également déjà relevé. Quoique leurs interventions dans leurs billets d’opinion puissent être fort intéressantes, il n’en reste pas moins qu’elles sont le reflet de leurs PROPRES interprétations de l’actualité. On les approuve, on les rejette, on les critique. Mais est-ce suffisant pour développer une opinion et, dans un sens plus large, une culture générale ? J’en doute. Aussi, pensez-vous vraiment qu’il est possible de comprendre et de développer notre connaissance des enjeux géopolitiques mondiaux avec uniquement des segments sur le thème « le monde en bref » dans les télé-journaux ? Certes, vous me direz qu’il est toujours possible de trouver ailleurs d’autres sources d’information plus étoffée. Malheureusement, je ne crois pas que ce soit une initiative du plus grand nombre.

Certains pontes des médias (ici et ailleurs) diront qu’il faut donner à la populace ce qu’elle veut voir, entendre et lire. Mais comment peuvent-ils vraiment savoir ce qu’elle veut s’ils n’essaient pas autre chose ? Ben non, voyons, il est préférable de lui offrir, à cette populace, de la matière soporifique ; ça lui évite de trop penser et de se fatiguer. Et surtout de se questionner.

Attention, je ne suis pas contre du contenu plus léger que je « consomme ». Toutefois, considérant notre paysage médiatique fort petit, j’estime qu’il est primordial d’avoir au moins une référence fiable et de très grande qualité. Je pense que la Société Radio-Canada, dans le cadre de son mandat de diffuseur public, devrait jouer ce rôle. Malheureusement, elle a perdu de son lustre (je ne suis pas la seule à le penser), et s’est détournée de sa mission première pour s’accoter au style de ses concurrents. Alors que TVA ou V par exemple jouent parfaitement leur rôle, la Société Radio-Canada s’est, elle, véritablement égarée.

* Je ne suis ni journaliste, ni chroniqueure, ni professionnelle des médias.