Certains d'entre vous reconnaîtront peut-être certains passages d'un billet écrit il y a deux ans. Dans le cadre de la commémoration du 20e anniversaire du génocide rwandais, j'ai eu envie de me replonger et de vous plonger dans de beaux souvenirs.
Ainsi, en
2007, je me suis rendue avec des collègues et amis au Rwanda pour construire
une école dans la ville de Gisenyi, dans le Nord-Kivu, à la frontière du Congo
; le soir venu, on pouvait voir au loin Goma. On n'est jamais vraiment préparés
à un voyage en Afrique, particulièrement dans un de ses pays qui a vécu des
horreurs que seul l’humain est capable de faire.
Il est
bien difficile de répertorier les grands événements tragiques de ce monde selon
une échelle de gravité. Ainsi, je n’ai pas connu les événements de la Seconde
Guerre mondiale. En revanche, mes nombreux cours d’histoire et le visionnement
à un jeune âge de séries télévisées sur l’Holocauste m’ont profondément
traumatisée. Tellement que je suis incapable de regarder des images
aujourd’hui. Le génocide du Rwanda en 1994 ou encore les événements en
Bosnie-Herzégovine, dont le massacre de Srebrenica en 1995, m’ont eux
particulièrement hantée car je m’y suis plus facilement identifiée. Ainsi, dans
nos villes et villages, on peut s’entretuer entre amis, connaissances ou
voisins. Un jour, on vit ensemble, un autre, on se hait.
Mais je
reviens à mon expérience au Rwanda qui a bien failli finir plus vite que prévu.
Pour la petite histoire, à l’époque, je n’étais pas encore citoyenne
canadienne. Je devais donc obtenir un visa spécial. Nous partions un jeudi
soir. Or, j'étais encore à Ottawa le mercredi pour tenter d'obtenir ce fameux
papier à l’Ambassade du Rwanda. Hélas, sans succès en raison de délais
administratifs. Je décide de partir quand même car il semblait que je pouvais
obtenir mon visa à l'aéroport de Kigali.
Après
une trentaine d'heures de voyage (transit par Londres et Nairobi), nous
arrivons enfin à destination. Mes amis passent les contrôles aux douanes sans
problème. Pas moi. Je dois rencontrer le superviseur. Je le vois au loin, un
mastodonte. Celui-ci me fait signe d'approcher. Je ne sais pas si c'est la
fatigue, l'émoi d'avoir posé le pied sur la terre africaine ou mon intimidation
face à lui, mais j'ai fait une chose qu'il ne faut jamais faire : j’ai menti.
Candidement,
me voilà en train de lui dire : « oh, mais je ne savais pas qu'il fallait un
visa… ». Et lui de me répondre : « Vous êtes certaine de ne pas avoir entrepris
de démarches pour en obtenir un ? ». Vous avez certainement déjà ressenti cette
impression de tomber dans un trou. Je devais être aussi livide qu’il était
noir. Car je venais de comprendre que ma demande de visa avait eu le temps de
faire son chemin pendant que j'étais dans les airs…
Bref,
ils ne m'ont pas remise d'office dans l’avion, et j'ai docilement payé mon visa
d’entrée (60 dollars). Bon, dans l'énervement, je n'en ai donné que 55, mais je
vous jure que je ne l’ai pas fait exprès. Ni ce qui suit non plus. Alors que je
récupérais enfin mes bagages avec un grand soupir de soulagement, une alarme
s'est enclenchée. L'un de mes billets américains était faux...
Cela
aurait pu augurer un séjour catastrophique. Ce fut tout le contraire. Pendant
plus de quinze jours, nous avons travaillé d’arrache-pied avec les habitants
d’un village dans une ambiance de découverte des uns et des autres. Pour eux,
nous étions des Blancs, des Muzungus. Des êtres
différents et même un peu bizarres. Et ces villageois n’avaient jamais vu un Blanc
travailler, encore moins à leurs côtés. Au fil des jours, une collaboration
s’est développée entre rires, regards et charabia pour tenter de se comprendre
car nos nouveaux « collègues » parlaient principalement le kinyarwanda.
Ensemble, nous avons produit à mains nues des centaines de blocs de ciment, nous
avons aussi porté des centaines de pierres - petites, grosses ou énormes - et
construit cette école.
Il y a
quand même eu quelques ombres à ce tableau idyllique. Même si le Rwanda fascine
autant par son peuple chaleureux, accueillant et résilient que par ses paysages
aux mille et une beautés, sa terre est le repos éternel de centaines de
milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Là, là et peut-être là aussi… Pour
ma part, un objet me donnait particulièrement froid dans le dos : la machette,
cet outil de travail pour bon nombre de villageois. Dès que j'en voyais une, je
ne pouvais m’empêcher de me poser des questions. Où était cette machette en
1994 ? A-t-elle servi comme arme de guerre ? A-t-elle fait couler beaucoup de
sang ?
Aussi,
nous avons regardé le film “Shooting Dogs” (Larmes d’avril au Québec) relatant
l’abandon du Rwanda par la communauté internationale. Jusque là, jamais je
n’avais vu de films sur cette tragédie. Pas besoin d’images pour saisir
l’horreur. Dans la salle de visionnement, des camarades rwandais ont regardé le
film avec nous. Certains sont Tutsis, d’autres Hutus. Jamais, nous ne pouvions
vraiment savoir qui était quoi. Même si la paix était revenue, le sujet était encore
tabou. Peut-être était-ce parce que j’étais la seule Européenne du groupe mais
le film a été un choc total pour moi. Comme si je portais sur mes épaules tout le
poids de la honte de mon pays d’origine. J'avais aussi presque l’impression de
reconnaître certains endroits devenus familiers depuis quelques jours…
Deux
ans plus tard, nous avons reproduit l’expérience en République démocratique du
Congo cette fois. Là où un autre carnage se déroule depuis des années dans
l’indifférence générale.
2014
marque le vingtième anniversaire du génocide du Rwanda. Nous pouvons être
admiratifs de sa renaissance. Mais nous avons aussi un devoir de mémoire et de
réflexion sur le silence de la communauté internationale qui a prévalu. Plus
jamais ça.
Si cela
vous intéresse, vous pouvez voir des images de ces deux séjours en Afrique sur
www.afrik.ca.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire