11 juin 2014

Message au maire de Montréal : « Vous vous trompez de pics... »

Monsieur Coderre,

cette semaine, nous avons eu droit à une de vos sorties en règle en tant que Super-maire-Coderre dans l’affaire déplorable des pics anti-itinérants auxquels quelques commerçants et gérants d’immeubles avaient eu la drôle (pas vraiment le bon terme) d’idée d’avoir recours pour chasser les indésirables.

Rapide sur la  « gachette » des réseaux sociaux, vous avez dégainé votre stupéfaction et votre dégoût en dénonçant comme il se devait cette situation inacceptable, et en ordonnant illico presto leur retrait. Aussitôt dit, aussitôt fait. Jusque là, rien à redire tant le recours à ces pics était inhumain et désolant. Bien entendu, cela a aussi constitué un sujet assez croustillant merci pour dépêcher journalistes, micros et caméras sur place. Hey, c’est de la nouvelle ça, monsieur !

Pourtant, les raisons de votre colère, et de la nôtre, ne devraient pas seulement être destinées à ces décisions bancales. Les véritables « pics de la honte », comme vous les avez qualifiés, sont ailleurs. Ce sont plutôt cette progression constante de la pauvreté qui touche une frange de plus en plus grande de la population ainsi que l’étendue de l’itinérance urbaine. Vous êtes une personne qui brassez beaucoup d’air et qui réagit promptement ; j’aimerais tellement vous voir brasser autant d’air que vous l’avez fait cette semaine en mettant en place des mesures immédiates, drastiques et quantifiables pour réguler vers le bas ce foutu taux de pauvreté dans la métropole. J’aimerais tellement vous voir bomber le torse de fierté en annonçant des résultats probants, comme vous l’avez si bien fait lors de la conférence de presse qui confirmait l’entente sur la prolongation du Grand Prix pendant dix ans.

Car Montréal va mal. Vraiment mal. Et, sauf une mauvaise foi de ma part, ce ne sont pas les 70 à 90 millions de dollars de retombées économiques du Grand Prix qui vont changer les choses. Sinon, on l’aurait vu depuis que l’événement se déroule ici, non ? Or, au détour de nos rues, de nos quartiers ou de nos ruelles, il y a de plus en plus de foyers de désolation, tant d’un point de vue architectural que de société. J'utiliserais presque le mot « misère » pour définir certaines réalités. J’ose donc espérer que ces retombées dont vous parlez avec tant d’enthousiasme « retomberont » dans les quartiers de Montréal.  Pas seulement dans les poches de certains membres et partenaires de l’industrie touristique, ni dans celles de joueurs influents et porteurs de la renommée de Montréal comme la « Mecque de l’industrie du sexe en Amérique du Nord »...

Montréal va mal. Vraiment mal. Ça se voit, ça se sent. Ça se vit. Dans bon nombre de domaines professionnels, le marché est saturé et les salaires sont de plus en plus précaires. Les plus jeunes et les immigrants en bavent. Ceux au-dessus de 45 ans tout autant. À moins d’être planqués comme fonctionnaires ou syndiqués bien sûr... Pas étonnant d’apprendre que 60 % de jeunes voudraient vivre ailleurs qu’au Québec. Et pas seulement les jeunes qui ont toute la vie devant eux pour découvrir le monde et ses possibilités (je dirais même que c’est normal et vital). Il y a aussi les autres, des professionnels qualifiés et expérimentés, qui se retrouvent face à un marché du travail fermé ou devenu inadapté tant les emplois sont sous-qualifiés ou sous-payés, ou les deux.

On dit souvent que lorsque Montréal va mal, c’est le Québec qui décline. En effet la province s’appauvrit et ce n’est pas faute d’avoir essayé de contribuer à son essor. Malheureusement, nous sommes nombreux à avoir la ceinture serrée au maximum sans réel horizon d’avenir.  D’autant que l’avenir, on ne cesse de le prédire morose avec des gels d’embauches, des coupures, de l’austérité et tutti quanti. Pendant ce temps, la Commission Charbonneau nous rappelle chaque jour qu’au sein d’un aussi petit peuple et territoire occupé, il y a un nombre effarant de pommes pourries.

Alors oui, de plus en plus de personnes songent à quitter le Québec. En l’espace de quelques mois, deux familles – dont une qui vivait à Montréal depuis 15 ans – et deux personnes très proches de moi sont parties. J’y songe aussi tant je vis depuis trois ans dans une précarité de plus en plus grande. Difficulté à trouver un travail, des mandats, des salaires de plus en plus bas. Il n’y a pas si longtemps, j’ai même été BS, la honte… Pas parce que je ne voulais pas travailler ni parce que je n’ai pas de qualifications. Remarquez, il me reste à tester les banques alimentaires aux côtés de ce 11 % de travailleurs qui les fréquentent…

Bref, à vous, monsieur Coderre et autres décideurs, je dis que ce n’est pas seulement des grands argentiers de ce monde comme Bernie Ecclestone (qui doit bien rire sous cape) qu’il faut retenir ou les touristes américains qu’il faut attirer. Ce sont aussi et surtout la qualité de vie des citoyens qu’il faut préserver. Bien entendu, cher maire de Montréal, vous n’êtes pas responsable à vous seul de ce gâchis montréalais qui a été nourri par un je-m’en-foutisme et/ou une incompétence généralisée ces dernières années. Mais aujourd’hui, il y a urgence tant Montréal est défiguré par des infrastructures devenues désuètes, par sa saleté omniprésente, par sa congestion continuelle, et par son manque de peps. Notre ville n’était pas dans cet état il y a dix ans. Elle avait tous les atouts pour rayonner. Malheureusement, elle n’a pas eu les leaders qu’elle méritait. Vous qui savez si bien brasser de l’air, monsieur Coderre, j’espère que vous ne le ferez pas pour rien et que vous mettrez tout en œuvre pour que Montréal redevienne une ville fière et non plus amère. Sinon, vous le savez bien, quand l’air n'est plus brassé, il ne retombe souvent que de la poussière.

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