À une époque,
pas si lointaine, le Québec encourageait l’immigration, principalement
francophone, dans l’objectif d’assurer avant tout la pérennité de sa langue et
de son identité culturelle. Bref, de son droit d’exister en tant que nation
francophone accotée à un vaste écosystème anglophone. Aujourd’hui, j’imagine
que la survie de la langue française prime toujours mais, que voulez-vous, à
notre époque où tout n’est plus que valeur marchande, l’immigration économique semble
prendre le dessus. Certes, le Québec connaît une pénurie de main d’œuvre
spécialisée notamment dans les secteurs manufacturier, des technologies de
l’information ou encore de l’aérospatiale.
Plusieurs entreprises québécoises
n’hésitent pas à partir à la recherche des perles rares introuvables ici,
semble-t-il. Encore dernièrement, seize entreprises du Grand Montréal ont pris
part à la 12e édition des Journées Québec, qui s’est déroulée du 30 au 31 mai 2015 à
Paris. Ces talents internationaux représentent sans aucun doute une manne pour
la croissance du Québec et notamment de Montréal. Toutefois, outre la promesse
d’un emploi bien rémunéré, je me demande ce que l’on dit d’autre à ces candidats
prêts à tout laisser pour déserter le « marasme européen » où tout semble sans
issue.
Parce que je
n’y vis plus depuis longtemps, je ne peux présumer de la réalité si
catastrophique que l’on dépeint en France. En revanche, puisque je vis à
Montréal depuis vingt ans, je me permettrai d’émettre certaines réserves si, à
ces futurs candidats à l’immigration, on a vanté comme à l’habitude la super
qualité de vie à Montréal. Car les choses ont malheureusement changé. Même si
la métropole offre en effet de nombreux avantages, son déclin économique ces
dernières années entraîne son lot de fissures dans son beau portrait. Mais ça,
on ne le dit peut-être pas sur place, une fois là-bas à Paris…
Si immigrer
au Québec est le rêve de beaucoup de Français ayant (ou pas) déjà foulé la «
terre promise », y faire sa place n’est pas forcément chose facile et cela peut
même prendre pas mal de temps et de galères malgré l’accueil toujours
chaleureux des Québécois. La décision d’immigrer de façon volontaire repose sur
une réflexion dûment murie, d’autant plus si on fait le grand saut en couple ou
en famille, en toute connaissance des efforts à accomplir et des nombreuses
étapes qui devront être franchies. Il y a bien entendu plusieurs types
d’immigration : celle dans le vide où tout est à reconstruire, celle
temporaire pour poursuivre des études ou vivre une expérience à l’étranger
(comme les programmes vacances-travail d’une durée d’un an ou deux qui
séduisent tant de jeunes Français de 18 à 35 ans ; c’est pour cela qu’il y
en a autant dans les rues et les boutiques du Plateau Mont-Royal !) ou encore celle pour raisons
professionnelles ou des possibilités d’investissement. Bref, autant de
variantes qui n’engagent pas la même énergie ni la même persévérance dans le
processus d’intégration. Pour la première variante, on est conscients du temps que ça
peut prendre et des quelques sacrifices à faire au passage. Pour les autres,
rester quelques années est déjà en soi un super accomplissement. L’idéal, quand
on y pense bien, c’est de débarquer avec un job en poche (et ta carte de
résident permanent) pour pouvoir entamer ta nouvelle vie dans ton pays sans
trop d’écueils.
Pour revenir
à tous ces heureux élus qu’on est allés recruter sur place et qui vont bientôt
débarquer à Dorval, j’aimerais pouvoir leur dire qu’ils vont vivre dans la « plus
meilleure ville créative au monde ». Et que, rien que pour ça, ils font partie
des grands chanceux. Car, un job, aussi intéressant et bien payé soit-il, reste
un job. Une entreprise, aussi innovante et performante soit-elle, reste une
entité avec sa hiérarchie, ses procédures et processus, ses forces et ses
faiblesses. En France comme au Québec. C'est la ville où l'on vit et travaille qui compte.
Malheureusement,
Montréal a perdu quelques-unes de ses lettres de noblesse et ne fait pas vraiment
rire ces derniers temps. Elle est même aussi morose que ces journées grises et
plombées de notre printemps. Bien sûr, son nightlife
attire toujours autant une faune jeune, branchée et festive ; bien sûr,
ses hyper nombreux festivals d’été font le bonheur de tous et chacun, notamment
les nombreux touristes auxquels on arrête pas de faire les yeux doux. Bien sûr,
celui ou celle qui débarque en ville ne peut que trouver Montréal super cool,
d’autant plus qu’elle regorge de bars, de bars et de bars aussi concepts les
uns les autres. Mais quand l’été laisse sa place et que la visite s’en va,
bonjour la déprime… Le citoyen vit sa routine dans une ville figée dans ses
lourdeurs administratives, ses chicanes de clochers et… son hiver qui peut être
long, surtout si on n’a pas les moyens de partir une semaine dans le Sud. À
force d’emprunter ses routes et ses trottoirs rafistolés ou son réseau de transport en commun vieillot, le nouvel
arrivant aura vite commencé à remarquer que Montréal, derrière sa couche de bonne
humeur, est pas mal bancale et rafistolée. Il comprendra qu’il ne faut pas trop
rêver quant aux super projets d’infrastructures qu’on nous annonce à l’occasion.
Le Montréalais a appris qu’il vaut mieux voir avant de croire… La ville présente aussi des maux plus profonds comme une pauvreté endémique visible ou
dissimulée, un nombre de plus en plus grand d’emplois sous-payés, atypiques ou
précaires, des cas graves de maladie mentale à ciel ouvert, etc.
Tout ça
finalement pour dire qu’il est certes important de pouvoir compter sur des
talents d’ailleurs pour contribuer à la croissance économique du Québec (quoiqu’il
semble y en avoir pourtant déjà sur place, assis trop souvent au
volant de certains taxis …). Mais il est tout aussi important de pouvoir les motiver et
les retenir, tous ces talents. Sinon, Montréal va réellement devenir une simple
ville de passage ou à fuir, comme cela semble déjà être un peu le cas, si j’en
juge de nombreux commentaires et cas concrets autour de moi.