Qu’on aime donc les taquiner
ou même les détester, cette fameuse république du Plateau et ses
bourgeois-artistes-bohèmes-Français-rues impraticables-pas de places de
stationnement. Pendant que plusieurs commerces du quartier ferment leurs portes
depuis ces dernières années, on aime ainsi répéter ad nauseam que la situation est la faute de son maire Ferrandez et
de ses lubies de changer les sens de la circulation qui ont découragé plus d’un
visiteur à faire ses emplettes sur le Plateau. Certes, ça n’a certainement pas
aidé. Mais il y a bien d’autres choses, comme la concurrence des mégacentres en
banlieue, la congestion routière sur les ponts, la baisse du pouvoir d’achat
des citoyens combinée à des hausses de prix des biens de consommation. Et puis
il y a ces éternels travaux de voierie qui ont fait beaucoup de tort sur
Saint-Laurent et qui vont vraisemblablement achever Saint-Denis. Le « boutte du
boutte » comme on dit au Québec… Blague à part, le mois dernier, c’est mon ami
Lambert et son frère André qui ont servi leurs derniers clients dans leur
boutique Couleurs sur Saint-Denis
justement, après 16 ans de bons et loyaux services. Une fermeture lourde de
sens et d'émotion. Car derrière la façade de chaque boutique, il y a un ou
plusieurs êtres humains qui consacrent beaucoup de temps et d'énergie. Aussi,
si vous avez l’occasion d’emprunter les rues du quartier, vous ne pourrez
manquer les annonces d’appartements à vendre qui poussent comme des champignons
ces temps-ci. Preuve que le quartier, que plusieurs décident de déserter, vit
des moments difficiles. À moins qu’il ne se transforme tout simplement, comme
le pensent les optimistes.
Pour ma part, je pense que
le mal dépasse les frontières du Plateau, et est symptomatique du déclin
généralisé de Montréal, autrefois si forte de belles promesses. Et on devrait
tous s’en inquiéter. Croyez bien que ce que j’écris là m’attriste énormément
alors que c’est ma ville d’adoption depuis 20 ans déjà. Toutefois, j’ai
l’occasion de parcourir régulièrement ses rues à pied ou en bus et je peux
affirmer que Montréal va mal depuis au moins cinq ans. Ces vitrines placardées
que l’on peut voir en grand nombre sur le boulevard Saint-Laurent ou sur la rue
Prince-Arthur (entre le boulevard et le carré Saint-Louis notamment) qui a
véritablement perdu son âme, elles se retrouvent aussi dans d’autres endroits
comme sur la Plaza Saint-Hubert, sur la rue Sainte-Catherine ou encore dans
certains centres commerciaux du centre-ville.
Montréal va mal car depuis
trop longtemps, on s’est pété les bretelles en se rappelant combien elle était
unique et cool (ce qui est vrai), et ses élus consécutifs se sont bornés à ne
travailler qu’en surface. Quelle est la signature ou la marque de commerce de
Montréal ? Notre ville est-elle si incontournable que ça sur la scène
internationale, et ce au-delà de sa super nightlife,
de sa notoriété comme «mecque du sexe » ou du dernier sondage de The Economist ? Comment la créativité,
cette caractéristique de Montréal devenue un mot marketing fourre-tout se
matérialise-t-elle dans le quotidien des Montréalais ?
Je ne sais pas si vous serez
d’accord avec moi mais notre ville, je l’ai toujours comparée à une adolescente
un peu gauche et rebelle. Sauf que cette ado, on ne l’a jamais encouragée,
guidée ou même remise à sa place de temps en temps. Elle a grandi un peu croche
sans trop savoir qui elle est vraiment et ce qu’elle veut devenir.
Elle n’a pas été beaucoup
dorlotée non plus. Ou en tout cas, elle n’a pas reçu toutes les attentions
qu’elle méritait. À part quelques rafistolages ici et là, et quelques
nouveautés ultra-médiatisées comme le nouveau quartier des spectacles ou les
nombreux immeubles de luxueux condos au centre-ville, Montréal vit au rythme de
l’ouverture et de la fermeture de concepts de bars-restaurants-cafés-salons de
thé. Pouvez-vous citer au moins un grand changement qui a bonifié véritablement
la qualité de vie des Montréalais ou qui a transformé le visage d’une rue ou
même d’un quartier ? Oui oui, il y a bien eu Griffintown ou encore la prise du
pouvoir suprême des Hipsters aux commandes de boutiques branchées du Mile-End.
Mais encore ? Parlant d'infrastructures, le réseau du métro n’a pas beaucoup
évolué et certaines de ses stations sont devenues pas mal décrépies depuis le
temps (quand vous attendrez sur un quai de la station Berri-Uqam, levez les
yeux au plafond pour voir). La rue Sainte-Catherine quant à elle – pourtant
réputée comme l’artère commerciale la plus achalandée au Canada – n’a pas été
revampée depuis belle lurette même s’il on en parle depuis belle lurette (selon
les épisodes du développement du transport collectif ou du système léger sur
rail du Pont Champlain, ça devrait prendre des années d’études pour voir ne
serait-ce que les prémices d’une décision d’un début de projet). Autre exemple
: croyez-vous que l’on attend qu’un malheureux incident survienne à l’îlot
voyageur abandonné – comme par exemple l’effondrement d’un de ses étages
éventrés en raison de l’usure due aux intempéries – pour faire enfin quelque
chose de cette affreuseté urbaine ? Le réseau d’aqueducs, quant à lui, pète à
divers endroits de la ville. Et on répare et on colmate.
Il est certain qu’on n’a pas les mêmes moyens que dans les années 1970 pour voir en grand et pour rêver. Quoique, peut-être qu’on gérait mieux l’argent à cette époque-là. Mais on savait surtout se foutre des conventions et on osait. Avant la semaine des quatre jeudis, j’espère ainsi voir un homme, une femme ou bien une équipe – une sorte de messie quoi – véritablement désireux de faire tomber les silos (pas les vrais, ceux de pouvoirs, de territoires et d’expertises), de débarquer ceux et celles qui préfèrent tourner en rond et de fouetter les troupes pour mettre enfin en oeuvre de grands projets. Car pour être de statut international, il faut prendre des moyens de niveau international. Quitte à puiser dans la cagnotte prévue pour la tenue d'événements nostalgiques comme les célébrations du 375e anniversaire, les sommets en tous genres qui réunissent le gratin politique d'ici ou d'ailleurs, ou encore la visite d'un Pape, que j’espère très hypothétique, dans une ville qui prône pourtant haut et fort la laïcité…
Il est certain qu’on n’a pas les mêmes moyens que dans les années 1970 pour voir en grand et pour rêver. Quoique, peut-être qu’on gérait mieux l’argent à cette époque-là. Mais on savait surtout se foutre des conventions et on osait. Avant la semaine des quatre jeudis, j’espère ainsi voir un homme, une femme ou bien une équipe – une sorte de messie quoi – véritablement désireux de faire tomber les silos (pas les vrais, ceux de pouvoirs, de territoires et d’expertises), de débarquer ceux et celles qui préfèrent tourner en rond et de fouetter les troupes pour mettre enfin en oeuvre de grands projets. Car pour être de statut international, il faut prendre des moyens de niveau international. Quitte à puiser dans la cagnotte prévue pour la tenue d'événements nostalgiques comme les célébrations du 375e anniversaire, les sommets en tous genres qui réunissent le gratin politique d'ici ou d'ailleurs, ou encore la visite d'un Pape, que j’espère très hypothétique, dans une ville qui prône pourtant haut et fort la laïcité…