24 août 2016

Cette année, j'ai le même âge que mon père. Drôle d'effet...


« On ne peut pas essayer d’être amoureuse de papa. Maman a déjà essayé. »
Michel Audiard


Sur la photo jaunie prise sur le perron de l’église, elle apparaît frêle dans sa petite robe blanche. Lui se tient à ses côtés, fier et beau. Dans cette petite ville du nord de la France, ils viennent de se marier. On ne voit pas encore le ventre arrondi de la mariée, la preuve de leur amour mais aussi le point de bascule vers une vie d’adultes arrivée plus vite que prévu. Nous sommes en 1967, l’époque du yé-yé affole les hanches d’une jeunesse avide d’amusement. C’est lors d’un de ces bals populaires de quartier qu’elle, timide et rêveuse, a succombé à son charme à lui, chef d’une bande de petits durs.

Sur la photo, mon père a dix-neuf ans, et ma mère, dix-huit. Je naîtrai quelques mois après le mariage. Dix-huit et dix-neuf ans, c’est le nombre d’années qui sépare mon âge de ceux de mes parents. C’est donc dire, à la vitesse où elles filent, vraiment pas beaucoup. Cette différence ne m’a jamais interpellée plus que ça, mais cette année, elle me chamboule particulièrement.

Car, voyez-vous, mon père, je ne l’ai pas vu vieillir. La dernière fois que je l’ai vu, il avait 49 ans. Emporté par un cancer fulgurant, il aura tout juste le temps d’apprendre qu’il deviendrait grand-père pour la première fois. La vie, plus souvent qu’autrement, nous fait vivre de drôles de concours de circonstances. Petite anecdote : à ses funérailles, un grand nombre de ses collègues de travail étaient venus lui rendre un dernier hommage. Je ne connaissais aucun d’entre eux mais je peux vous dire qu’ils étaient plusieurs à en savoir beaucoup sur moi, tant mon père leur parlait souvent de mon frère, de ma sœur et de moi. C’est seulement à ce moment-là que j’ai réalisé à quel point mon père était « finalement » très fier de moi, lui, l’homme de caractère qui avait voulu forger le mien jugé trop faible à force de confrontations.

Dans quelques mois, je vais moi-même avoir 49 ans, vous voyez où je veux en venir ? En plus de constater la maturité prendre possession de mon visage (tellement bien dit), j’éprouve de drôles de sentiments. Préparez-vous à de la psychologie 101 :

Un sentiment d’urgence : je dois décider maintenant – et surtout pas dans un an ! – ce que je compte faire ou ne plus faire. Voyez-vous, mon père a consacré sa vie à son travail ; même en vacances, son esprit était sans cesse sur ses chantiers. On ne peut pas dire que la vie l’a récompensé pour autant (oui, bien sûr, il avait aussi adopté de mauvaises habitudes de vie qui ont mis sa santé en sursis). Tout ça pour dire que les mots tels que retraite, épargne-retraite, plan de carrière, vision d’avenir, etc. ne font pas vraiment partie de mon vocabulaire. 

Une angoisse face au vieillissement et aux petites «dégradations» qui vont avec. Que j’aimerais faire partie de ces gens qui vantent les mérites du vieillissement, lequel permettrait de révéler votre réelle nature, votre sagesse, votre estime et votre assurance, bla bla bla… Le décès précoce de mon père, tout comme celui de ma mère survenu subitement il y a deux ans, après de nombreuses années de maladie (elle allait avoir 65 ans) me font plutôt dire que vieillir, ça fait mal. C’est un point de bascule. Je suis de plus en plus à l’affût du moindre bobo et consciente des notions de la gravité. Non, je ne suis pas hypocondriaque et, oui, je suis réaliste. Mais peut-être me trompé-je ; peut-être aurez-vous des arguments qui me feront dire le contraire ?

Mon éternelle attirance pour les hommes plus jeunes ou, si vous voulez, mon non-intérêt pour les hommes de mon âge. Par rapport aux deux premiers, ce dernier point semble plus léger, me direz-vous. Que nenni ! C’est toute une vie amoureuse qui est en jeu là ! Comment pourrais-je sortir avec quelqu’un de l’âge de mon père ? No way ! Cette fâcheuse attirance pour des hommes plus jeunes a au moins le mérite d’expliquer mes déroutes sentimentales ; j’ai au moins une bonne raison…

Conclusion : accepter et avancer


Il y a deux ans encore, on me faisait remarquer que je paraissais plus jeune que mon âge. Même si c’était parfois de la pure politesse, cela me faisait un petit baume au cœur. Jusqu’au jour où l'on m’a prise pour la mère d’une très bonne amie qui était, elle, dans la jeune trentaine. La première fois, j’en ai ri car j’ai mis le faux-pas sur le compte de l’obscurité dans la salle ; les deuxième et troisième fois et plus, mes interlocuteurs ont vite compris leur erreur… Bref, je pense que je vais bien devoir finir par finir d’accepter mon âge ; et puis, à bien y penser, je me dirige vers ce fameux âge d’or, appelé également « règne de Saturne » dans les mythologies grecque et romaine, symbole d’un printemps éternel. Savez-vous qu’au Moyen Âge, l'âge d'or était même la promesse d'un futur paradisiaque et d'un monde de paix ? Finalement, j’ai presque hâte…

11 août 2016

Douce France, cher pays de mon enfance

« De mon enfance », c’est un peu plus que ça; je t’ai quittée à l’âge de 28 ans pour suivre mon amoureux, attiré par la culture nord-américaine et décidé à y vivre le grand rêve. Tu comprendras que je ne pouvais pas le laisser partir tout seul ! Pendant plus de treize ans, je ne suis même pas revenue te voir. Pas que je fusse fâchée envers toi mais la vie et ses aléas ont fait que les années ont passé très vite.

Ces derniers temps, on parle beaucoup de toi et pas vraiment pour les bonnes raisons. Aujourd’hui, plus qu’avant, on te frappe, on te fragilise et on te terrorise. L’ambiance chez toi est lourde, le moral au plus bas, et l’avenir très sombre. Comment pourrait-il en être autrement ?

D’aussi loin que je suis, cela m’attriste énormément. Impuissante, je me sens comme un petit soldat prêt à aller défendre la mère patrie; moi qui n’ai pourtant aucun sens du patriotisme. Alors que bon nombre de tes habitants veulent te fuir, j’ai envie de revenir vers toi. Bizarre, non ? En même temps, c’est tellement facile à dire quand on n’a pas cette menace qui plane en allant simplement boire un verre sur une terrasse, en prenant le métro ou en allant admirer des feux d’artifice…

Il est certain qu’au Canada, et au Québec où je vis, on se sent nettement plus en sécurité. Au point d’être parfois déconnectés du monde dans lequel on vit. Ici, il y a ce type d’angélisme de ceux qui n’ont jamais connu. La seule véritable menace qui plane, ce sont les pitbulls… Loin de la menace, il est plus facile de s’insurger, de se questionner, de décortiquer et même de juger. Tellement plus facile de ne pas aller au-delà de la nouvelle. Tellement plus facile de lancer toutes sortes d’hypothèses et d’explications sur ce qui t’a menée dans un tel bourbier.

On met en cause tes ratés dans l’intégration de ta population immigrante (vrai), l’éternelle discrimination à l’embauche (vrai), la pauvreté d’une partie de plus en plus grande de ta population – et pas seulement immigrante (vrai), la crise économique dont tu ne sais pas comment te relever (vrai), les politiques internes et externes inefficaces de tes dirigeants actuels et précédents, tous partis confondus (vrai); autant de raisons qui peuvent en effet expliquer cela.

Les ratés d’hier
Pourtant, je crois que la situation d’aujourd’hui est aussi née des actes d’hier à plus grande échelle en termes de responsables sur la scène géopolitique. Comment ne pas penser à l’invasion de l’Irak ? Comment ne pas penser à l’illusion des pays occidentaux de pouvoir transposer – ou d’imposer – leurs propres notions de la démocratie ? Comment ne pas penser aux promesses de lendemains qui chantent dans les pays du printemps arabe, restées pour la plupart lettres mortes ? Comment ne pas penser au lucratif marché des ventes d’armes qui ont enrichi et qui continuent d’enrichir ces mêmes pays occidentaux qui font la morale (la France a cette désolante 2e place au palmarès des plus grands vendeurs d’armes au monde) ? Comment ne pas penser à ce capitalisme mondial ravageur, déclencheur de crimes contre l’humanité (oui, oui, j’assume), tant tout n’est désormais que valeur marchande ? Comment ne pas penser aux tragédies humaines qui se déroulent sous nos yeux notamment en Syrie ou en République démocratique du Congo ? Comment ne pas penser à ces milliers de migrants qui fuient l’horreur au péril de leur vie; une vie qui vaut bien peu pour les passeurs. Pitoyable ce que des humains sont capables de faire subir à d’autres humains… Le monde va mal – et pas seulement en France – et ce n’est pas parce qu’on se trouve dans un endroit relativement épargné, comme c’est le cas au Canada, qu’on ne doit pas se désoler. Pour ma part, c’est une tristesse qui m’étreint un peu plus chaque jour.

Pour revenir à toi, douce France, tu incarnais – et incarnes toujours – une ouverture aux autres. Chez toi vivent les plus importantes communautés musulmane et juive d’Europe. Tu peux en être fière en cette période de rejet – et même de haine – de l’autre. De ce fait, en cette période troublée hors de tes frontières, ta laïcité pure et dure à la française fait de toi l’ennemi à abattre. Pour preuve, les fous enragés qui te frappent fort frappent tout le monde, sans distinction aucune: juifs, musulmans, hommes, femmes, enfants, vieux, jeunes. Aucune considération de religion ou autre idéologie ne peut justifier une telle folie meurtrière.

Une guerre avant tout économique
À croire bon nombre de Français, tu es à fuir comme la peste tant ta situation sociale et économique est catastrophique. Faut dire qu’en France, on aime bien tomber dans le drama et employer les grands mots. Pourtant la crise économique se vit aussi ailleurs. Faut dire que notre quotidien semble se limiter à sa courbe. Les principaux joueurs des marchés se livrent une guerre pour grappiller ou conserver des parts de marché. Les médias sont toujours plus alarmants quant à la situation : chutes des prix du pétrole, capitalisations boursières, risques des taux de change, inflations des coûts d’exploitation, boni faramineux, conflits d’intérêt, abus de pouvoir, dégraissements des masses salariales et augmentation en conséquence des cours des actions, passe-droits, escroqueries, déclins des budgets de l’éducation et de la culture, surconsommation et endettement endémique, etc. Et j’en passe.

Même le Québec – et particulièrement Montréal qui semble être l’eldorado pour de nombreux Français – est touché. Si le taux de chômage n’est pas très élevé, il faut tout de même savoir que la pauvreté est quand même grandissante à Montréal. De plus en plus de personnes doivent avoir deux emplois pour joindre les deux bouts; aussi sont non considérés comme chômeurs les chercheurs d'emploi de longue date, les travailleurs autonomes au statut précaire de plus en plus nombreux, beaucoup par choix, d’autres parce qu’ils ne parviennent pas à trouver un emploi dans un marché de l’emploi extrêmement petit ou même saturé dans certains domaines d’activité.

Et la tendresse, bordel !
Tout ça pour dire, « douce France », que je te souhaite de revenir à une certaine douceur, toi dont le mélange d’intelligence, du sens de l’absurde et du cynisme et de l’amour du bon et du beau ne se retrouve nulle part ailleurs. Certaines de tes qualités font ton charme naturel, d’autres tapent sur les nerfs. Ton petit côté prétentieux n’est pas apprécié de tout le monde. Mais bon, vaut mieux avoir la prétention de ses opinions – aussi tranchées soient-elles – qu’une absence totale de celles-ci.

Aujourd’hui, il est temps que nous soyons indignés par forcément à coups de démonstrations publiques mais individuellement. On ne peut plus parler de la situation économique en Europe, aux États-Unis ou au Brésil. C’est le modèle économique mondial dans son ensemble qui ne fonctionne plus tel qu'il est et qui est à réinventer. Non plus uniquement en termes de territoires ou de situations économiques (comme cette Europe qui n’est plus qu’une simple zone euro) mais en termes de développement global et social. Je rêve au retour d’une certaine tendresse dans le poids de nos mots. Je rêve en couleurs ? Peut-être… De toute façon, la planète vit déjà à crédit.

03 août 2016

Des nouvelles de la génération X ?

Avez-vous déjà remarqué que les générations d’après-guerre, au-delà de la lettre qui les caractérise, portent toutes un nom: les baby-boomers, les millenials (les Y), la génération alpha (Z). Des noms somme toute assez cool. En ce qui concerne la génération X, on parle plutôt de la génération « crise », « carpette », « sandwich ». Bonjour la déprime. En fait, la déprime date déjà d'il y a longtemps alors que nous reprenions à tue-tête les paroles de la chanson Désenchantée de Mylène Farmer. Nous n’avions pas vingt ans. Est-ce pour cela que cette génération fait rarement les manchettes des médias traditionnels ou d'affaires ?

Première génération confrontée au chômage de masse en pleine crise économique au début des années 80, coincée entre la génération des baby-boomers et celle des Y qui la bouscule, les X n'ont jamais ménagé leurs efforts pour se faire une petite place et être reconnus à leur juste valeur. Et elle s’est pas mal essoufflée. Faut dire qu’on lui en a fait des promesses à cette génération X. On lui promettait la relève de la génération de baby-boomers qui n'en finissent pas de ne pas partir à la retraite. En attendant, un nombre grandissant de travailleurs  décrochent, désillusionnés et… trop souvent malades.

Pas certaine qu’ils auront l’énergie ni, surtout, l’envie de prendre le relais de leurs aînés. Surtout dans les environnements de travail au sein d'entreprises et d'organisations encore calquées sur le vieux modèle de la hiérarchie verticale : un chef au sommet de la pyramide, des tâches et des fonctions bien établies, de lourds processus décisionnels, des systèmes vieillots pour faire circuler l’information, des communications tronquées, etc. Pour avoir de l’expérience professionnelle sur les deux continents, je peux affirmer que si la hiérarchie est maladivement patriarcale en France, celle au Québec repose sur une soi-disant absence de hiérarchie pour mieux faire passer certaines pilules… Disons qu’un juste milieu serait parfait.

En fait, je pense que le monde du travail dans les entreprises ici ou ailleurs est en grande transition. Or, les transitions sont souvent des moments de crise et de heurts pour faire arriver le changement, et elles marquent une frontière entre ceux qui ont connu et ceux qui vont connaître. Déjà, vous aurez certainement remarqué comme moi une volonté de quelques entreprises à transformer leur espace de travail (physique et organisationnel) en un lieu d’épanouissement… surtout pour attirer et motiver les employés issus de la génération Y qui, eux, revendiquent avec raison le droit de travailler dans le plaisir et la bonne humeur. Non, non, je ne suis pas frustrée…

Faut dire que ce sont de véritables ENTREPRENEURS dans l’âme (des entrepreneurs tripatifs, même !), ces petits jeunes. Des entrepreneurs bien de leur temps, calés en toutes sortes de nouvelles technologies, promesses d'un monde moderne, efficace, productif. Vous avez plus de 45 ans ? «Désolé, nos subventions à l’entrepreneuriat sont attribuées aux 18 à 35…». Allez, tasse-toi, matante...

Déjà, en 1998 (!), dans son formidable livre La Cité des Intelligences, l’auteure Sylvie Gendreau proposait des modes d’organisation du travail avant-gardistes basés sur un leadership démocratique qui permettrait aux hommes et aux femmes de mettre en commun leur imaginaire et leur intelligence pour concrétiser un objectif commun. On est en 2016, on en parle encore. Certaines entreprises – trop peu - y sont parvenues. Bien sûr, on vante sans cesse l’innovation, l'intelligence collective, la mise en place de «laboratoires de créativité». Et c’est fort inspirant pour l'avenir, tous ces concepts. En attendant, la majeure partie des employés continuent à effectuer leurs tâches comme des robots, en se questionnant sur le sens de tout ça. Voilà le grand mot : le SENS. Combien sommes-nous à avoir cette désagréable impression de tourner en rond et cette urgence à retrouver un sens ? Un jour, on se lève, on jette un regard en arrière sur le travail accompli jusqu’à aujourd’hui et on se dit : « Mon dieu, s’il faut continuer comme ça, ça risque d’être long ».

Pour ma part, ça m’est arrivé : ce qu’on appelle « frapper un mur ». Ça fait plus ou moins mal selon l’épaisseur du mur… J'ai battu en retraite - non pas à la retraite - pour me poser, pour arrêter le mouvement alors que j'avais tant besoin de celui-ci. Alors ont déboulé des tas de questions existentielles : comment en suis-je arrivée là ? Où me suis-je trompée ? Suis-je en train de passer à côté de ma vie ? Est-il trop tard ?
J'ai pleuré, j'ai ruminé, j'ai douté, j’ai sombré. J'ai trouvé des responsables, souvent les autres. Pas facile de démêler ces noeuds qui avaient affaibli mon cerveau et endolori mon corps tout entier. Certains me diront que c'est une preuve de force et de courage que de savoir s'arrêter pour se remettre en question. 

Il paraît que je suis en mue. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Christophe Fauré, psychiatre : « Vers 40-50 ans, nous sommes tous en mue », une transition plus communément connue sous l'expression « la crise de la quarantaine ». Je suis rassurée. Il semble donc que je ne sois pas la seule. Et l'autre bonne nouvelle est que ce monsieur ajoute aussi, je cite, « que ce temps charnière de l'existence n'annonce pas un déclin, mais l'occasion de nous épanouir ». L'avenir, c'est donc aujourd'hui !