« On ne peut pas essayer d’être amoureuse de papa. Maman
a déjà essayé. »
Michel Audiard
Sur la photo jaunie prise sur le perron de l’église, elle
apparaît frêle dans sa petite robe blanche. Lui se tient à ses côtés, fier et
beau. Dans cette petite ville du nord de la France, ils viennent de se marier.
On ne voit pas encore le ventre arrondi de la mariée, la preuve de leur amour
mais aussi le point de bascule vers une vie d’adultes arrivée plus vite que
prévu. Nous sommes en 1967, l’époque du yé-yé affole les hanches d’une jeunesse
avide d’amusement. C’est lors d’un de ces bals populaires de quartier qu’elle,
timide et rêveuse, a succombé à son charme à lui, chef d’une bande de petits
durs.
Sur la photo, mon père a dix-neuf ans, et ma mère,
dix-huit. Je naîtrai quelques mois après le mariage. Dix-huit et dix-neuf ans,
c’est le nombre d’années qui sépare mon âge de ceux de mes parents. C’est donc
dire, à la vitesse où elles filent, vraiment pas beaucoup. Cette différence ne
m’a jamais interpellée plus que ça, mais cette année, elle me chamboule
particulièrement.
Car, voyez-vous, mon père, je ne l’ai pas vu vieillir. La
dernière fois que je l’ai vu, il avait 49 ans. Emporté par un cancer fulgurant,
il aura tout juste le temps d’apprendre qu’il deviendrait grand-père pour la
première fois. La vie, plus souvent qu’autrement, nous fait vivre de drôles de
concours de circonstances. Petite anecdote : à ses funérailles, un grand
nombre de ses collègues de travail étaient venus lui rendre un dernier hommage.
Je ne connaissais aucun d’entre eux mais je peux vous dire qu’ils étaient
plusieurs à en savoir beaucoup sur moi, tant mon père leur parlait souvent de mon
frère, de ma sœur et de moi. C’est seulement à ce moment-là que j’ai réalisé à
quel point mon père était « finalement » très fier de moi, lui, l’homme de
caractère qui avait voulu forger le mien jugé trop faible à force de
confrontations.
Dans quelques mois, je vais moi-même avoir 49 ans, vous
voyez où je veux en venir ? En plus de constater la maturité prendre
possession de mon visage (tellement bien dit), j’éprouve de drôles de
sentiments. Préparez-vous à de la psychologie 101 :
Un sentiment d’urgence : je dois décider maintenant – et
surtout pas dans un an ! – ce que je compte faire ou ne plus faire.
Voyez-vous, mon père a consacré sa vie à son travail ; même en vacances,
son esprit était sans cesse sur ses chantiers. On ne peut pas dire que la vie
l’a récompensé pour autant (oui, bien sûr, il avait aussi adopté de mauvaises
habitudes de vie qui ont mis sa santé en sursis). Tout ça pour dire que les
mots tels que retraite, épargne-retraite, plan de carrière, vision d’avenir,
etc. ne font pas vraiment partie de mon vocabulaire.
Une angoisse face au vieillissement et aux
petites «dégradations» qui vont avec. Que j’aimerais faire partie de ces gens
qui vantent les mérites du vieillissement, lequel permettrait de révéler
votre réelle nature, votre sagesse, votre estime et votre assurance,
bla bla bla… Le décès précoce de mon père, tout comme celui de ma mère survenu
subitement il y a deux ans, après de nombreuses années de maladie (elle allait
avoir 65 ans) me font plutôt dire que vieillir, ça fait mal. C’est un point de
bascule. Je suis de plus en plus à l’affût du moindre bobo et consciente des
notions de la gravité. Non, je ne suis pas hypocondriaque et, oui, je suis
réaliste. Mais peut-être me trompé-je ; peut-être aurez-vous des arguments
qui me feront dire le contraire ?
Mon éternelle attirance pour les hommes plus jeunes ou, si
vous voulez, mon non-intérêt pour les hommes de mon âge. Par rapport aux deux
premiers, ce dernier point semble plus léger, me direz-vous. Que nenni !
C’est toute une vie amoureuse qui est en jeu là ! Comment pourrais-je
sortir avec quelqu’un de l’âge de mon père ? No way ! Cette
fâcheuse attirance pour des hommes plus jeunes a au moins le mérite d’expliquer
mes déroutes sentimentales ; j’ai au moins une bonne raison…
Conclusion : accepter et avancer
Il y a deux ans encore, on me faisait remarquer que je
paraissais plus jeune que mon âge. Même si c’était parfois de la pure
politesse, cela me faisait un petit baume au cœur. Jusqu’au jour où l'on m’a
prise pour la mère d’une très bonne amie qui était, elle, dans la jeune
trentaine. La première fois, j’en ai ri car j’ai mis le faux-pas sur le compte
de l’obscurité dans la salle ; les deuxième et troisième fois et plus, mes
interlocuteurs ont vite compris leur erreur… Bref, je pense que je vais bien devoir
finir par finir d’accepter mon âge ; et puis, à bien y penser, je me
dirige vers ce fameux âge d’or, appelé également « règne de Saturne »
dans les mythologies grecque et romaine, symbole d’un printemps éternel. Savez-vous
qu’au Moyen Âge, l'âge d'or était même la promesse d'un futur paradisiaque et
d'un monde de paix ? Finalement, j’ai presque hâte…
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